Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/69

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mieux d’atteler tes deux chevaux et d’y aller de ta personne. Qu’est-ce que je trouve ? Une femme séparée, qui s’est retirée dans ses terres parce qu’elle a le monde en horreur, une philosophe moderne. Elle s’appelait elle-même Satana, et c’était un amour de petit démon, des yeux comme des feux follets. Je perdis naturellement mon procès, mais j’y gagnai ses bonnes grâces.

Malgré tout, je n’avais pas cessé d’aimer ma femme. Souvent, dans les bras d’une autre, je fermais les yeux et me persuadais que c’étaient ses longs cheveux humides et sa lèvre ardente, enfiévrée.

Nicolaïa, pendant ce temps, délirait entre sa haine et son amour. Son cœur était comme ces fleurs qui ne s’épanouissent qu’à l’ombre, il débordait maintenant de tendresse sauvage. Elle trouvait mille moyens de se trahir en voulant trop se cacher. Un jour, elle pose sur mon bureau une lettre que venait d’apporter pour moi le cosaque de ma belle, et elle rit tout haut, mais le rire s’arrête dans sa gorge ; c’était triste à voir. Trop d’amour m’avait éloigné d’elle, et elle maintenant avait soif de vengeance parce que son amour était dédaigné. Elle ne marchait qu’avec une précipitation nerveuse, criait en rêve, s’emportait à tout propos contre les domestiques et les enfants.

Puis tout d’un coup elle parut changée ; on eût dit qu’elle se résignait. Son regard, lorsqu’il se posait sur moi, avait quelque chose d’étrangement saturé, et pourtant à ses éclats de rire se mêlait comme une note douloureuse.