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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/82

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d’aile l’avait transportée de la région des ours dans celle des palmiers et des cèdres. Il s’agitait sur son siège comme un fiévreux ; il creusait sa cervelle, cherchant des images pour exprimer cette chose inexprimable qui l’obsédait, il crachait les similitudes par douzaines jusqu’au moment où je lui dis de se taire. Alors il ne fit plus que marmotter dans sa barbe. Continuait-il son monologue ? priait-il ? avait-il enfin trouvé sa comparaison ? C’était comme un papier blanc sans fin où il alignait ses chiffres interminables, comptant, comptant toujours.

Nous glissions sur le chemin durci. Voici une ferme, et plus loin un village. La neige argente tous les objets ; elle a couvert d’argent les misérables toits de chaume, brodé des fleurs d’argent sur les vitres exiguës, accroché des houppes argentées à chaque gouttière, à chaque puits, à chaque arbre dans les jardins. Des remparts de neige entourent les habitations ; l’homme y a pratiqué des galeries comme le blaireau ou le renard. La légère fumée qui monte du toit semble se figer dans l’air. Autour de la ferme sont rangés des peupliers en argent massif. De ci, de là, des poussières de givre se soulèvent et voltigent, semblables à des essaims de moucherons diamantés, et passent lentement en lançant mille éclairs comme des orages en miniature. Sur la place devant le village, des gamins aux joues vermeilles, à la toison blanche, se pourchassent dans la neige, à peine vêtus. Ils en forment un bonhomme, et lui mettent dans la bouche béante une longue pipe comme celle où fume le seigneur. Un jeune paysan