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UN BAL CHEZ LES ROSENZWEIG

Un orage éclatait-il, il se hâtait de faire fermer toutes les fenêtres ; il s’enveloppait d’un domino en soie, et, comme un messager de la Sainte-Vehme, il errait en silence çà et là, ou bien il se jetait sur un divan tendu de soie aussi. Chaque fois qu’il prenait une indigestion, il croyait mourir, et demandait à faire son testament, parce qu’il croyait que c’était le plus sûr moyen d’éloigner la mort.

Ce jour-là, il avait dîné chez le ministre Kronstein et il se mourait sur son lit, lorsque Micheline entra. Les stores verts étaient baissés. Dans le demi-jour verdâtre, par son profil aigu, son front chauve, son nez d’aigle, ses yeux fermés, il remettait en mémoire le buste de Caligula. Étendu de tout son long, il gémissait, gémissait. En entendant le bruit de pas, il murmura :

— Que me veut-on ? Que ne me laisse-t-on mourir tranquille !

— C’est moi, papa.

Nouveau gémissement.

— Papa, je voudrais te demander quelque chose.

Le gémissement devient bruyant comme la soupape de dégagement d’une locomotive.

— Pauvre papa ! Tu es malade, très-malade.

— Ah ! ah ! ah ! Mon Dieu ! mon Dieu !

Cette fois, M. Rosenzweig est mort, tout à fait mort.