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TROIS JEUNES SAGES ET UN VIEUX FOU

n’avait pas changé de position, il ne quittait pas des yeux l’échiquier ; il avait l’air de causer avec lui-même. Bientôt les jeunes gens l’entendaient dire d’une voix gaie, pleine d’insouciance.

« Jadis, on mettait du moins une amorce pour pêcher à la ligne ; on se servait de cette amorce pour cacher l’hameçon. Aujourd’hui ce n’est plus l’amorce qui attire le poisson, qui l’amène à se faire prendre, c’est l’hameçon tout seul.

» Shakespeare n’a-t-il pas dit : « Pesez dans une balance une drachme de chair de femme contre un million ; vous ne parviendrez pas pour cela à la préserver de l’infection. »

» Oh ! nous ne nous donnons pas cette peine, bon Shakespeare ; cette espèce de chair de femme est précisément celle qui nous allèche le plus. »

Le comte se reprit à rire.

— C’est évidemment à nous qu’il s’adresse, chuchota Wolfgang.

— Laissons-le parler, répondit Plant, bien plus avec les épaules qu’avec les lèvres.

Le monologueur continuait presque aussitôt :

« Ils croient, ces petits hommes d’aujourd’hui, car ce sont réellement des petits hommes, — les vrais hommes s’en vont de plus en plus, — ils croient qu’ils ont accompli une action héroïque, un véritable travail d’Hercule en déracinant toutes