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Page:Sacher-Masoch - Les Prussiens d’aujourd’hui, 1877.djvu/443

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JEAN

subjugué par la hardiesse brutale avec laquelle l’actrice lui avait fait connaître tout à coup sa nature essentiellement personnelle, et il luttait en vain contre l’espèce de volupté que lui faisait éprouver cette découverte.

En ce moment où elle ne voulait plus avoir rien de commun avec lui, il sentait qu’il l’adorait passionnément, et que plus elle le haïssait, moins il pouvait se dominer avec elle.

— Tu ne m’aimes donc pas ? tu ne m’as donc jamais aimé ? demanda-t-il d’un ton égaré qui eût fait tressaillir toute autre femme.

— Jamais aimé ! s’écria-t-elle en se relevant vivement et se dressant devant lui de toute sa taille. Jadis, quand tu venais, pauvre barbouilleur de papier, dans notre boutique, jadis je t’ai aimé, et toi, — fais bien attention à mes paroles, — toi, tu m’as abandonnée, parce que tu trouvais plus avantageux de devenir le mignon de la comtesse Bärnburg. Pourquoi me reproches-tu donc de te quitter, aujourd’hui que le roi est à mes pieds, alors que tu sais que je ne t’aime pas, puisque toi qui m’aimais tu m’as délaissée quand même ?

Ses yeux étincelèrent une seconde encore, puis elle se mit à marcher lentement dans la chambre et se rassit sur l’ottomane, posant ses pieds sur la tête du tigre.