Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
SASCHA ET SASCHKA.

le fer incandescent, et le soldat qui part pour la guerre en chantant, et la jeune femme qui, vêtue d’une kazabaïka garnie de fourrure, est assise à son piano et s’accompagne en promenant ses blanches mains sur le clavier. Il n’est rien de plus triste que de rester dans l’oubli.

— Vous avez donc peur d’être oublié ?

— Oui, de vous.

— Jamais je ne vous oublierai », dit la jolie fille énergiquement et avec un accent aussi franc que le regard de ses grands yeux limpides.

Sascha lui avait pris la main presque sans le savoir, mais ses lèvres demeuraient muettes.

« C’est plutôt vous qui m’oublierez, continua Spiridia. On dit que vous aimez uniquement notre peuple, et qu’une grande soif d’honneurs vous conduit loin de nous autres vers une voie sublime, mais aussi solitaire.

— Ces illusions sont passées ; j’étais fou, mais je suis revenu à la raison.

— Vous n’êtes plus avide de gloire ?

— En existe-t-il une plus noble que celle qui a pour but de vivre au milieu du peuple et de lui être utile ? repartit Sascha avec animation. Serait-il possible d’y arriver sans avoir un foyer, une famille à soi ? Tout le monde n’est pas né pour être un Napoléon ; il faut aussi qu’il y ait des officiers et des soldats. Pour moi, je serai content de mon sort si, le sac au dos, je marche dans le rang, et si l’on n’a point à me reprocher d’avoir jeté mes armes et tourné le dos à l’ennemi.