Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/128

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tranquille vraiment digne de l’antiquité. L’image dans ses vers s’applique à l’idée philosophique et flotte autour d’elle comme une draperie laissant deviner le corps qu’elle cache et dont elle caresse les contours. L’abstraction se pare de couleurs chatoyantes ; tout palpite, tout brille, tout se meut, et l’immense fourmillement de la nature en travail anime jusqu’aux moindres pièces du recueil. Même lorsqu’il traite des sujets tels que Danaé et Léda, le poète, allant au delà du fait mythologique, découvre dans la fable des sens cosmogoniques. Danaé captive en sa prison d’airain, c’est la terre glacée par l’hiver et attendant que les rayons d’or pleuvent pour la féconder. Léda, c’est l’humanité s’unissant avec la nature, et de cet hymen résulte Hélène, c’est-à-dire la beauté parfaite. Ces interprétations sont peut-être subtiles, mais elles ne répugnent nullement au génie hellénique, et comme elles n’ôtent rien à la pureté des lignes, au charme des coloris, et que, pour être des mythes, Danaé et Léda n’en restent pas moins d’admirables figures qu’avouerait la statuaire grecque et qui ont l’étincelante blancheur du marbre de Paros, on ne peut reprocher au poète sa trop grande ingéniosité. Dès à présent, André Lefèvre nous semble pouvoir être catalogué comme étoile de première grandeur parmi la pléiade poétique de l’époque actuelle.

Après la Flûte de Pan, André Lefèvre a publié la Lyre intime, un second volume où sa verve, plus libre, plus personnelle, moins confondue dans le grand tout, s’est réchauffée et colorée comme la statue de Pygmalion quand le marbre blanc y prit les teintes roses de la chair. La Lyre intime vaut la Flûte de Pan, si même elle ne lui est supérieure, et les cordes répondent aussi bien aux doigts du poète que les roseaux joints avec de la cire résonnaient harmonieusement sous ses lèvres.

Il a fait paraître dernièrement une traduction en vers des Bucoliques, et dans le même volume il a placé comme contraste une traduction également en vers d’un poème sanscrit de Kalidâsa, le Nuage messager.