Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/93

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ces poignées d’herbes des champs mêlées de fleurettes sauvages au parfum agreste !

Le mérite de Pierre Dupont est d’avoir donné cette saine et fraîche impression à un public animé de passions brûlantes. Il a fait apparaître la nature au milieu de l’émeute et reporté la pensée aux calmes horizons. Sa chanson des Bœufs a eu une vogue immense, vogue dont elle était digne, chose rare, car souvent le peuple s’engoue de quelque inepte refrain. Toute la France, vers ce temps-là, a chanté d’une voix plus ou moins juste "les grands bœufs blancs tachés de roux." C’était à la fois une chanson de paysan et de poète, où un sentiment énergique s’exprimait avec des images naïvement charmantes et tirées de la vie champêtre dans un style d’un fin travail, dont l’artifice ne se laissait pas voir.

La Musette est dans son genre un petit chef-d’œuvre, une sorte d’idylle de Théocrite en couplets d’un ton plus humble et plus familier. A entendre le poète donnant des conseils sur la peau et le bois à choisir, sur la manière de percer les trous des tuyaux à leur juste place et la façon de faire dire à l’instrument gonflé par le souffle d’une poitrine humaine les douleurs, les joies et les amours, on dirait un Faune enseignant à un berger d’églogue l’art de joindre avec de la cire les roseaux d’une flûte de Pan. Mais n’allez pas croire à une imitation ou à une réminiscence classique. La chanson est telle qu’un pâtre la pourrait chanter en surveillant ses chèvres du haut d’une roche. Pas un mot littéraire n’y détone, et cependant l’art est satisfait. Le Louis d’or, la Véronique, le Repos du soir, sont de charmantes inspirations, ainsi que d’autres morceaux peignant la vie des champs avec une sincérité de couleur qui n’exclut ni la grâce ni la poésie. Il y a du Burns chez Pierre Dupont. Sa pensée, habituée au spectacle de la nature, prend aisément un tour rêveur et contemplatif ; mais l’auteur des Bœufs n’est pas seulement un poète bucolique qui, dans son vallon de Tempé, reste étranger aux agitations des villes ou n’en perçoit que de lointaines rumeurs,