sur un banc près de la grille, étaient le jardinier et le procureur juridictionnel ;
il était neuf heures du soir. La conversation que je ne rapporterai
pas a été des plus vives, l’homme soutenant toujours ses invectives et la fille
faisant toujours tout ce qu’elle pouvait pour apaiser et dissuader son père ;
enfin celui-ci furieux a lâché un second coup de pistolet, croyant (disait-il)
m’atteindre dans la cour où il prétendait m’entendre. Les gens de dehors,
effrayés, au lieu de se saisir de cet homme se sont sauvés, ceux de dedans
ont couru ; on l’a atteint chez Béridon, où il s’est presque évanoui d’effroi
quand il a vu qu’on venait pour l’arrêter. Jouve, qui arrivait dans le moment,
s’est transporté au cabaret, et, au bout d’une heure de propos de part et
d’autre, ces messieurs, fort empressés de me secourir et de prendre mon
parti, comme vous allez voir, ont exposé ma vie une troisième fois en
n’arrêtant point cet homme et le laissant libre, ce que j’ai trouvé infâme,
mais passons là-dessus (le temps de la vengeance arrivera peut-être !) Enfin
Paulet s’est transporté une seconde fois chez Béridon vers les minuit, et l’a
emmené coucher chez lui pour qu’il se contînt, ne clabaudât plus, et prévenir
par là, en quelque façon, de nouvelles incartades. On est entré en négociations ;
Paulet a servi de médiateur, toujours disant qu’il négociait entre la
fille et le père, monsieur et madame ne voulant entrer pour rien là-dedans,
et ne le devant point après les infamies qu’il avait faites. Pendant ce temps-là
j’opinais pour une procédure prompte, mais le tremblant Jouve ne voulant
rien entreprendre par lui-même a décampé le lendemain matin consulter
Rayolle[1], et n’est revenu que le samedi très tard, disant que l’avis de
Rayolle était que la procédure se prît seulement sur le port d’armes et à la
seule requête du procureur juridictionnel, ce qui, par la suite, pourrait
amener à tout ce qu’on voudrait, et que, d’ailleurs, la procédure faite, il
fallait l’envoyer à qui de droit à Forcalquier[2]. J’ai trouvé tout cela assez
mauvais, mais comme il était tard, que le lendemain c’était dimanche, le
surlendemain la foire de Goult, Jouve est reparti avec promesse de revenir
mardi matin commencer le procès-verbal qu’il antidatera, et de là on entendra
les témoins. Vous voyez comme votre présence est nécessaire pour rectifier
tout cela, car, quant à la procédure, il faut qu’elle se fasse ; nous l’annonçons
à madame de Montreuil, qui sans cela croirait qu’on lui fait des histoires,
et d’ailleurs je l’exige absolument. Pendant tout ce temps-là, c’est-à-dire
pendant toute la journée de samedi, le pacifique Paulet négociait ; et le
fruit de ses négociations a été que le père verrait sa fille encore une fois
dans un endroit tierce qui a été la cave de Chauvin, qu’après cette visite
(qui a été plus douce que les autres et dans laquelle la fille a fait tout ce
qu’elle a pu pour calmer son père) ce susdit père s’en retournerait tranquille-
- ↑ Le juge de La Coste. Ce village, aujourd’hui fort déchu, avait un juge, un lieutenant de juge, viguier du seigneur, un procureur juridictionnel, un greffier, un sergent, un corps municipal : officiers et consuls, un hôpital et un bureau des pauvres avec leurs régents, un maître et une maîtresse d’école, une cure instituée en prieuré, un prêche avec son musicien, etc…
- ↑ Siège de la sénéchaussée.