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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


vingt-huit mille en deux ans. La présidente crie comme un aigle et ne donne point d’argent à madame de Sade, qui règle petitement sa dépense sur celle que faisait sa défunte belle-mère dont elle occupe le logement. Son fils cadet, le chevalier, est tombé malade de la fièvre tierce.

La marquise a sa peine à Paris et son faire-le-faut en Provence. Elle soumet les affaires domestiques à son mari et s’entend du reste fort bien à décider pour lui. Les gens du pays qui viennent à Paris lui apportent des nouvelles léchées comme des oursons. « Tous vos Provençaux d’Apt, écrit-elle à Gaufridy, sont enthousiasmés de Paris, mais c’est qu’ils n’y ont pas affaire. Ce pays n’est bon que pour les étrangers et pour les gens riches. » Cette cruelle remarque est toujours vraie. Ce qui lui vient de là-bas, ce sont de petites et de grandes préoccupations entre lesquelles le réalisme passionné, mais un peu myope, de la femme ne distingue pas. Elle repousse une demande des trinitaires d’Avignon, qui veulent obtenir du marquis la rectification d’un contrat consenti par son père, et les renvoie à la présidente, qui s’intéressera pour eux auprès de M. Necker en ce moment contrôleur général ; elle rogne l’indemnité que le seigneur paie au chirurgien de la Coste, parce qu’il est maintenant assez répandu pour vivre des malheurs de sa clientèle. Il faut faire patienter le juif, couper les petits chiens, mettre le nouveau garde à l’épreuve, refaire les baux. Gothon est encore malade et crèvera pour un amour qu’on ne peut autoriser. Le desservant de la Coste a été nommé prieur et la marquise ne décolère pas de la faveur faite à « ce chien de curé ».

La marquise n’est pas seule à avoir l’œil ouvert sur ce qui se passe en Provence. Madame de Montreuil s’en montre aussi préoccupée qu’elle, mais ses curiosités ne vont pas aux mêmes objets.

Justine a été renvoyée à son père vers la fin du mois d’avril. L’affaire est si bien enterrée que le procureur général a dû menacer de reprendre la procédure contre Treillet, qui s’est grisé de son succès en vrai vilain et clabaude trop pour son rang. Dès lors la présence de Justine à Paris ne s’explique plus, mais, avant de la laisser partir, la présidente l’interroge longuement.

Elle est également fort curieuse du petit secrétaire dont le marquis avait loué les services par l’intermédiaire de la dame Giroud et qui est arrivé à la Coste, où on l’a laissé, peu de jours avant le départ des châtelains. Ses parents le réclament, mais l’enfant ne veut pas quitter le pays, en dépit de Gothon qui le trouve nigaud et peut-être incommode.