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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


ne l’envisagent que comme un homme proscrit, des créanciers qui crient de tous les côtés et dont la misère et les tableaux réels qu’ils en font à madame votre fille fend et serre son âme honnête et sensible… Quant à son cœur, je le crois incapable de cesser une minute d’être rempli du sentiment de tendresse que la nature inspire, et j’ose même croire, d’après la connaissance que j’en ai, qu’il est assez délicat pour désirer vivement d’être mis à même par vous, madame, d’y joindre ceux de la reconnaissance que les soins que nous attendons tous doivent y joindre nécessairement, quand elle en aura senti les effets……


Mouret fait connaître à l’avocat l’opinion du procureur général sur l’affaire Treillet et les suites qu’elle pourrait avoir pour M. de Sade. (Aix, le 30 janvier 1777).

J’aurais désiré, monsieur, que sur la dernière lettre que j’eus l’honneur de vous écrire vous eussiez pû deviner ce que je ne pouvais vous dire, et ce que je ne puis encore dire ici que pour vous seul, qu’elle n’était écrite que par l’ordre de M. le procureur général. Il n’a pu aussi concevoir qu’un homme aussi intelligent et raisonnable que vous se soit arrêté aux réflexions et aux menaces de M. de Sade. Quand même il serait vrai que ce seigneur fût aussi indifférent qu’il vous l’a dit envers la fille dont il s’agit et qu’elle fût aussi vestale que sa laideur vous le persuade, les seuls motifs qui ont porté le père à venir la réclamer exigeaient qu’elle lui fût remise sur le champ, et on devait bien moins hésiter après le recours à M. le procureur général. Aucun engagement à mois ni à l’année ne peut en imposer à un père qui réclame sa fille ; lui seul a des droits légitimes sur elle ; le maître frustré dans son service n’a que des dédommagements à prétendre ; mais quand cette réclamation est fondée sur des motifs aussi puissants que celle de la corruption de sa fille par son propre maître, toutes les prétentions doivent cesser, et le père est autorisé à prendre sa fille partout où elle est, même de force. Il n’a même pas besoin de la conviction de cette corruption, la seule crainte lui suffit, et à plus forte raison vis-à-vis M. le marquis de Sade, sur lequel les soupçons et les craintes de ce genre ne sauraient porter à faux. La malheureuse réputation qu’il s’est acquise et l’état des choses aggravent ses refus. Les violences qu’il impute au père légitiment les motifs de ce dernier ; il a eu raison de dire qu’il aurait eu sa grâce s’il en fût mésarrivé, et il est inconcevable que M. de Sade ait non seulement poussé ce misérable père à une telle extrémité, mais qu’il s’y soit lui-même exposé. L’horreur que M. le procureur général a de toute cette conduite et surtout des menaces faites au père et de la procédure prise contre lui à la requête du procureur juridictionnel de la Coste, le porte d’écrire aujourd’hui au procureur juridictionnel de lui envoyer au plus tôt copie de cette procédure ; cette affaire qu’on désirait étouffer fait déjà le plus grand éclat, et peut avoir les plus grandes suites. Je voudrais bien aussi que vous m’assuriez par votre réponse que cette fille a été conduite par gens sûrs à son