religieuses qui n’interviennent guère dans les affaires que pour demander
leur pension, réclamer des envois de fruits ou de gibier ou recommander
un protégé dévot. Le marquis trouve dans le Comtat trop de
bonnes volontés à le servir. Ses agents, qui souvent se proposent eux-mêmes,
conseillent, intriguent, furètent, « exploitent » les censitaires,
les débiteurs de rente et les tenanciers arriérés. Les droits du seigneur
se débattent et s’instruisent dans un grand barbouillis d’encre où
praticiens et tonsurés montrent le même appétit de chicane. La marquise
en tire argument pour faire sentir à sa mère les affreux embarras
de l’absence.
La captivité du marquis lui fait perdre la tête, mais sa femme, selon Rousset, est devenue fine et « retapée ». Au fait, elle a parfois de ces plaisanteries sans traits qui sont les meilleures parce que la vie saute de la plume et fait courir les mots comme des poussins sortant de l’œuf.
Le marquis a soudainement un regain d’activité absurde et désordonnée. Il fait signifier à madame de Montreuil par M. le Noir, lieutenant général de police ayant inspection sur la Bastille et sur Vincennes, une opposition à tous les actes de gestion qui pourraient être faits sans son aveu. M. de Sade jure qu’il ruinera en procès tout administrateur qui serait nommé pour agir en son nom. On lui demande de se désister de cette opposition, mais il répond par des lettres où l’expression brûle le papier. « On empêcherait plutôt le Rhône de couler que d’arrêter la fougue de son imagination ». Mademoiselle de Rousset veut à son tour faire présenter une requête à M. le Noir pour lui exposer le désordre où sont les affaires et pour lui demander d’envoyer le marquis dans ses terres, au moins pendant une année. Il touche présentement à la quarantaine et n’a plus la fougue de vingt-huit ans. Mais qui croira que les affaires de M. de Sade ne puissent être restaurées que par lui-même ? Les ministres (qui, décidément, ont leur part dans sa détention) jugent que le marquis est bien où il est. Il n’a qu’à donner sa procuration et à se mieux conduire. Le captif gâte tout par ses imprudences et par les sottises qu’il débite. Il est plus diable que jamais et l’opinion lui est contraire : les histoires vieilles de douze ans sont reprises et déformées par la malice. L’opposition de M. de Sade est traitée de chimère et bientôt on n’en parle plus. Les affaires restent en l’air ; on pare au plus pressé ; l’administration ne se fait que pour le revenu et chacun n’a, pour y pourvoir, que les droits qu’il se donne.