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MARQUIS DE SADE — 1780
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conduit très mal et qu’il nous accable par écrit des horreurs et des sottises qu’on nous lit ou qu’on nous dit. Tous ses chefs-d’œuvre restent en dépôt. Vous pensez bien que ces sortes de lettres ne sont pas faites pour être envoyées. C’est ce qu’il y a de pis. Je suis apostrophée de pu… ; il est des expressions plus fortes pour les autres. Convenez qu’il faut avoir un grand courage pour oser solliciter avec persévérance……


Mademoiselle de Rousset a su, par un coup hardi, les raisons véritables de la détention du marquis ; elles sont si graves qu’il faut que madame de Sade soit folle pour conserver ses illusions. (21 octobre 1780).

Bonjour, mon très cher et monsieur l’avocat. Eh bien ! Que pensons-nous de notre silence mutuel ? Il n’est, ma foi, pas joli…… Les affaires sont toujours dans la même position et elles le seront, je le crois, longtemps. Après beaucoup de longueurs et de promesses vagues, j’ai voulu voir et mis madame de S. à portée de voir par elle-même les motifs de détention. Ce n’était pas une chose aisée ; la personne assez hardie pour faire le coup a hasardé et couru le risque de la galère ou d’une prison perpétuelle. Il s’en est tiré » j’en ai eu la fièvre plusieurs jours. Nous avons su par ce coup hardi que la chère présid… n’était pas si coupable que nous le pensions. Il a des ennemis mérités encore plus forts. Il faut la mort des uns et l’oubli des autres pour espérer quelque chose. Tout cela me paraît long et un peu chimérique, relativement au mot « liberté ». Mille preuves d’impossibilité n’empêchent pas que madame de S. n’espère toujours et ne se fasse l’illusion la plus complète sur le présent et sur l’avenir. Comme la nature de ses affaires et le rôle d’amie que je joue auprès d’elle méritaient la plus grande sincérité et la plus parfaite franchise, je l’ai fait à travers toutes sortes d’orages et mille et un millions de désagréments qu’elle aurait pu m’épargner si elle avait eu plus d’éducation, plus de grandeur d’âme ou, pour tout abréger, de ces sentiments naturels et délicats que la naissance donne et que la vertu et la justice soutiennent jusqu’au tombeau. Enfin, mon cher ami, il est des individus si baroquement organisés qu’ils inspirent plus de pitié que de colère. Celui-ci est du nombre, je l’ai bien examiné et disséqué. Je ne suis plus si étonnée que l’infortuné ait tant fait de sottises ; il lui aurait fallu une personne qui eût du nerf ; celle-ci n’a que des fibres, ou filaments tissus ou ourdis par les araignées……

Le déménagement et les dettes qu’il a fallu payer dans l’ancien quartier ont donné sur les oreilles des six mille livres. Comme cela ne me regarde pas, je dors tranquillement. Il n’en est pas de même de sa pétaudière de maison ; tous sont maîtres, tous sont impertinents, plus pour elle que pour moi……

Notre homme en question a toujours à peu près la même conduite, c’est-à-dire mauvaise. Cela corrige la sensibilité de mon cœur à son égard