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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Mademoiselle de Rousset fait un nouveau tableau des affaires de madame de Sade et de son intérieur. (12 janvier 1781).

……Des conseils, oh ! certes, je veux que le diable m’emporte s’il est possible d’en donner aucun et je défie le meilleur tailleur de faire un bel et bon habit avec de la mauvaise étoffe !… Que diable me voulez-vous donc ? Je ne puis ni ne veux me trop étendre par lettre ; les détails seraient infinis, dégoûtants, impatientants et… Laissez-moi en repos, je vous prie !……

Madame de S… a dépensé beaucoup l’année dernière, par des raisons toutes simples. Son déménagement lui a coûté quelque chose ; elle a payé des dettes qu’elle avait contractées dans le quartier. Cela était indispensable, le quittant. Je lui ait fait faire toutes ses observations avant qu’elle donnât congé ; je le lui ai répété vingt fois ; elle s’est vue de l’argent en main, elle ne put résister à la tentation. « Je remplirai les sacs, disait-elle, à mesure que Gaufridy m’en enverra. — Oui, mais, et où Gaufridy le prendra-t-il ? Votre dépense va toujours (journalière et autres) et les fantaisies de M. de S. vont à l’infini. » L’autre jour nous avons compté en gros, mais très en gros, que ses caprices, friandises, bougies, mémoires de son chirurgien frater passaient deux mille livres par an. Il a la fureur d’acheter et de louer des livres ; les trois cents livres qu’on vous dit de prendre sur Chauvin seront pour l’abonnement des œuvres de Voltaire qui va paraître incessamment. Mon ami, ces deux têtes ensemble ou séparément ne valent pas celle d’un écolier de douze ans.

Je me flatte d’avoir contribué à quelques petits arrangements domestiques pour le bon ordre, mais le désordre subsistera tant qu’on n’aura pas plus de discernement pour le choix des domestiques. Madame de S. est engouée d’un personnage féminin, insolent et méchant, qui est la pierre d’achoppement pour les tracasseries domestiques. Cette femme est d’un si mauvais caractère que, si madame de Sa., avait plus de discernement qu’elle en a, ce même caractère ne ferait pas l’éloge du sien. Vous seriez étonné d’entendre les impertinences que cette créature tient à sa maîtresse. Elle m’a tâtée deux fois pour savoir apparemment de quel bois je me chauffais. Je ne la crois pas tentée d’y revenir une troisième ; comme c’était en présence de sa maîtresse, j’ai cru en avoir dit assez pour ne jamais plus rien dire à l’avenir. Mon appartement d’à présent est distribué de façon que je ne suis pas dans le cas de voir cette impertinente. J’ai une coiffeuse au mois qui, pour mon argent, vient à l’heure que je la veux. La Jeunesse, qui se livre assez souvent à la débauche, est quelquefois trois, quatre jours sans rentrer. J’ai pris la cuisinière pour faire ma chambre ; Madame de S… est forcée d’en faire autant pour ne pas dégrader sa femme de chambre, qui le lui refuserait net. Oh ! femmes, femmes faibles puisque vous vous laissez subjuguer par de vils esclaves, que ne ferez-vous pas pour ceux à qui vous croyez l’autorité en main ? Ames de boue ! Agréez la plus sincère pitié de celles qui ne le sont pas ou, du moins, moins que vous !……

Pauvre Gothon ! Elle est donc bien chatouillée par l’amour ? Je la plains.