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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


lorsqu’elle parle de ses incommodités. La Jeunesse lui aussi est retombé en maladie : ce sont des humeurs « qui veulent se fixer sur sa poitrine. »

La marquise, qui voit partout des attaques de nerfs, attribue à la même cause la recrudescence des maux de mademoiselle de Rousset. Si ses crachements de sang venaient de la poitrine, il y aurait longtemps que la double saignée en aurait eu raison ! Il lui faut des remèdes très doux. Les deux femmes se plaignent doucement en se contant leurs misères comme des vieilles, mais leur commune pitié ne s’adresse qu’à elles-mêmes car la curiosité d’autrui et la médisance qu’elle engendre sont les manifestations les plus tenaces de la vie.

Les insinuations contre Gaufridy prennent un tour plus vif et plus net. Mademoiselle de Rousset l’accuse de ne pas avoir remis au commandeur toute l’argenterie ; la marquise n’y contredit pas et s’étonne seulement qu’il n’en ait pas gardé davantage. Mais l’avocat est fin ; il ne faut pas se couper avec lui et attendre, pour lever le masque, que l’on n’ait plus rien à en craindre. Il doit avoir chez lui des papiers importants pour les seigneurs, dont son père a géré les biens sous le feu comte. Il convient donc de se garder, de recueillir les on-dit, de sonder adroitement, de tout ménager, même sa jalousie. Au fond il semble bien que madame de Sade craigne de le peiner ou, au moins, de le perdre. Elle le complimente sur l’honnêteté de ses procédés avec mademoiselle de Rousset, lui dit être bien sûre qu’il continuera à faire pour le mieux et que les affaires de M. de Sade ne sauraient être en meilleures mains que les siennes !

Ces bavardages et ces petites traîtrises n’aboutissent à rien. Gaufridy n’a pas été nommé juge à la mort du vieux Rayolle, mais l’avocat Ripert, si honnête homme, non plus. C’est Rayolle le fils qui a eu la place, par commission du parlement donnée en l’absence du seigneur.

Le marquis continue du reste à n’avoir cure de ce qui se passe sur ses terres. La désagréable affaire que la communauté de Saumane fait au viguier Pépin ne parvient même pas à le tirer de son apathie. Il se borne à promettre de rendre justice à sa sortie et déclare qu’au demeurant ce n’est pas à Gothon, mais à lui-même, que Pépin a donné de l’argent au moment de son entrée en charge et que la chose est conforme aux usages. Madame de Sade estime qu’il vaut mieux que le silence se fasse là-dessus.

M. de Sade n’y voit quasiment plus d’un œil. C’est la fumée dont sa chambre est pleine, les lectures tardives et la rage dont il est possédé