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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


son frère, mais craint de se mettre en route seule et demande à madame de Sade de lui envoyer le chevalier. Celui-ci est en Franche-Comté, où il garde le château d’un de ses cousins, tandis que son frère, qui est en garnison à Nantes, s’est trouvé mêlé à tous les tapages de la Bretagne. C’est l’époque de la grande peur ; à Paris même, la marquise a été pillée ; des bandes partent, dit-on, pour soulever la Provence, et, si son cadet doit se rendre auprès du grand prieur, madame de Sade veut que ce soit « en droiture ». Au reste il est trop tard ; le vieillard baisse encore et a été administré. Il remet à son aumônier sa belle croix de diamants pour le chevalier et il meurt le vingt septembre. En apprenant qu’il était à toute extrémité, madame de Villeneuve s’est de nouveau rendue à Saint-Cloud pour enlever ce qu’elle y trouverait encore « à sa bienséance. »

Mais il était écrit que le grand prieur ne laisserait même pas à sa parentèle ce dont elle aurait pris soin de se pourvoir. Si madame de Villeneuve a eu la main prompte, la riposte de l’ordre de Malte ne se fait pas attendre. Le hasard, ou le don d’ubiquité propre à ceux de sa race, a voulu que cadet Sayon, juif du Comtat, se fût trouvé à Toulouse au moment où le grand prieur remettait sa croix de diamant à l’abbé Audin ; on l’interroge ; il déclare tout ce qu’il sait, énumère les plus petits objets « et drogueries » qui étaient entre les mains du grand prieur ou à Saint-Cloud. La dame Espérite, sa gouvernante, confirme l’enlèvement des meubles à M. Terras, secrétaire de l’ordre. L’ordre réclame tout, y compris la croix de diamant et quelques volumes de l’encyclopédie que Gaufridy a chez lui. Les religieux sont terribles en ces matières et madame de Villeneuve a trouvé à qui parler. Toute la communauté, représentée par le receveur de Marseille, son confrère de Toulouse, le commandeur de Montazet, est derrière M. Terras qui tempête et menace. Mais la dame regimbe et jure qu’elle ne rendra rien. Le danger de s’y refuser lui apparaît-il ? Sa crainte se change en colère. Puis un songe propice vient la rassurer et la voilà de nouveau prête à « tenir en échec toute la moinerie guerrière du monde ». Cependant la famille s’émeut. On sent bien ce que le procédé de madame de Villeneuve a de singulier et l’on redoute d’autant plus, de s’engager avec elle dans un procès ridicule qu’elle en garderait vraisemblablement l’enjeu si, par impossible, on venait à le gagner. Du reste l’ordre laisse entendre que le chevalier pourra bien être la première victime de cette dispute et la marquise sait parfaitement de quelles conséquences peut être pour