Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — 1790
269

Notre ville, qui commençait à reprendre un peu de tranquillité par le bon ordre que la patrouille bourgeoise avait ramené, vient de tomber dans de grands troubles…… Au moment que je vous écris j’entends battre la caisse pour ramasser le peuple pour faire quelque mascarade……

Je vous prie d’être circonspect vis-à-vis mon domestique ; il serait à même de me compromettre avec le peuple d’ici.


Le marquis expose à l’avocat ses griefs contre madame de Sade et lui dit par qui il l’a remplacée, mais en tout bien tout honneur. (Sans date).

……Il y avait déjà très longtemps que je m’apercevais d’une manière d’être dans la conduite de madame de Sade, lorsqu’elle me venait voir à la Bastille, qui me donnait de l’inquiétude et du chagrin. Le besoin que j’avais d’elle me faisait dissimuler, mais tout en elle m’alarmait. Je distinguais clairement des instigations de confesseur et, à dire vrai, je voyais bien que ma liberté deviendrait l’époque d’une séparation.

Le quatre juillet, à l’occasion d’un peu de train que je fis à la Bastille pour des mécontentements que l’on m’y donnait, le gouverneur se plaignit au ministre. J’échauffais, disait-on, par ma fenêtre l’esprit du peuple, je l’assemblais sous cette fenêtre, je l’avertissais des préparatifs qui se faisaient à la Bastille, je l’exhortais à venir jeter bas ce monument d’horreur… Tout cela était vrai. L’on me fit transférer au couvent des Frères de la Charité de Charenton, où ces scélérats de Montreuil eurent la cruauté de me laisser languir neuf mois au milieu des fols et des épileptiques, à qui seuls est consacrée cette maison. Un peu plus de liberté là qu’ailleurs me mit à même pourtant de découvrir que je n’étais plus détenu que par l’avarice de ces moines, et qu’il me suffisait de leur dire impérieusement que je voulais sortir pour qu’ils m’ouvrissent la porte. Mes enfants et moi nous le fîmes. Je devins libre, et cela bien avant la sanction du roi relative aux lettres de cachet, ainsi que je le dis dans ma lettre à M. Perrotet à laquelle je vous renvoie pour cet article. Mais reprenons. Qu’y a-t-il d’abord de plus indigne qu’un homme, qui est dans sa ville natale, entouré de sa femme, des parents de sa femme, se voit transféré d’une prison où il est décemment dans une tout à fait indécente, et cela sans que qui que ce soit en ait été instruit ? Vous m’avouerez qu’il y a là, ou bien de la méchanceté, ou bien de l’insouciance. Mais ce n’est pas tout. En sortant de la Bastille, la nuit du trois au quatre juillet, suivant les anciens usages du despotisme ministériel, on ne me laissa rien emporter. J’en sortis nu comme la main et tous mes effets, c’est-à-dire pour plus de cent louis de meubles, d’habits ou de linge, six cents volumes dont quelques-uns fort chers et, ce qui est irréparable, quinze volumes de mes ouvrages manuscrits, prêts à passer chez l’imprimeur, tous ces effets, dis-je, furent mis sous le scellé du commissaire de la Bastille, et madame de Sade dîna, fut à la garde robe, se confessa et s’endormit. Enfin le quatorze juillet au matin, elle s’imagina

21