les cordons de vos brodequins. Voilà pourtant ce que donne le barreau ;
l’habitude de plaider indifféremment toutes les causes accoutume l’esprit
à se plier à toutes les manières de voir un même objet. Aussi un de vos
célèbres confrères, le doux Linguet, pariait-il de faire perdre le soir la cause
qu’il avait fait gagner le matin. Vivent les auteurs dramatiques ! Quelle
différence de simplicité ! La nature belle et bien nue, voilà tout ce qu’il
nous faut. Mille remerciements, au surplus, de la médiation que vous voulez
bien m’offrir. On va d’abord nous juger vendredi relativement à l’article
de la succession de ma mère. Nous verrons où ça nous mènera ; je vous
instruirai de tout et vous prierai de vouloir bien venir à mon secours, si
l’on me met trop en presse. En attendant, j’attaque et sans frémir. Si je
plaide encore, soyez sûr que madame de Sade l’a voulu. Je lui avais écrit
une lettre charmante pour lui demander ce qui me revenait de la succession
de ma mère ; elle m’a répondu une lettre à cheval. Ma foi, j’ai poursuivi !
Soyez bien certain que je n’oublierai pas que vous m’avez promis d’accepter des exemplaires de mes pièces quand elles s’imprimeront, mais il faut avant qu’elles se représentent, et cela va bien lentement. Il y a eu des troubles affreux aux Français, de nouveaux règlements, et tout cela n’avance pas la représentation des nouveautés. Vous aurez aussi cet été les quatre volumes de mon roman philosophique[1] que je fais imprimer à Pâques ; mais je ne retrouve point mes papiers de la Bastille, et cela me désespère.
Voici le tableau de mes pièces reçues et prêtes à jouer : Sophie et Desfrancs[2], au théâtre de la Nation, cinq actes en vers. L’Homme immoral, au théâtre italien, un acte en vers. Le Jaloux corrigé ou l’École des Coquettes, au théâtre italien, un acte en vers. Le Criminel par Vertu, au théâtre du Palais-Royal, trois actes en prose. Azelis[3], comédie-féerie, au théâtre de la rue de Bondy, un acte en vers.
En voilà bien assez, cher et aimable ami. À vous seul est permis d’écrire longuement parce que chaque phrase est une jouissance ; mais, quand des ânes comme moi veulent prendre la voix du rossignol, ils doivent y regarder à deux fois. Je ne vous peins pas tous mes sentiments, j’aime mieux vous les laisser lire dans mon cœur.
……Je ne vous sais point mauvais gré de vous conformer aux ordres que vous avez reçus de M. de Sade. Je sais très bien que vous ne pouvez faire autrement.
- ↑ « Aline et Valcour » ou « Le Roman philosophique ». Le marquis explique lui-même, par la suite, comment la publication en a été retardée.
- ↑ Ou « Le Misanthrope par amour ».
- ↑ Ou « La Coquette punie ».