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dû rembourser de ses deniers, ensuite parce qu’on le soupçonne d’être acquis aux Montreuil. On le remercie donc, sans l’avoir payé.

Ce fut un nommé Gaufridy, notaire et procureur dans la même ville, que le nouveau seigneur de la Coste choisit pour lui succéder. Celui-ci n’était point un inconnu pour M. de Sade. Le père de Gaufridy avait été longtemps l’homme d’affaires du feu comte. Le régisseur était de l’âge du marquis ; ils avaient joué ensemble à la Coste et n’avaient point cessé de se voir. Gaufridy venait visiter le seigneur quand il se trouvait au château, et ils aimaient à discuter ensemble des affaires du royaume. Tous deux souhaitaient des réformes et faisaient, en bons Provençaux, maints redressements aux institutions. Mais le marquis était athée et le notaire dévot : c’est lui qui défendait Dieu dans leurs controverses.

Gaufridy est resté à la tête des affaires de M. de Sade pendant vingt-six ans ; les régisseurs locaux de Mazan, de Saumane et d’Arles étaient sous ses ordres. On l’appelle « M. l’avocat », bien qu’il n’ait pas droit à ce titre, tant celui de procureur était mal porté. Il eut bientôt la confiance de toute la famille : chacun croyait occuper une place de choix dans son esprit et recourait à lui aussitôt que son intérêt était en jeu. Il fournissait les tantes religieuses de gibier et de légumes frais ; il consultait avec l’abbé de Saumane sur ses procès ; il décidait pour les châtelains et ravitaillait le château. Il était très fin et avait, semble-t-il, l’esprit enjoué, bien qu’il fût un peu lourd et pompeux dans son langage. C’était un notable de parfait renom, bon praticien et conseiller prudent. Sa prudence va jusqu’à la cautèle, sa souplesse jusqu’à l’équivoque, sa discrétion jusqu’à la complaisance, sa négligence jusqu’à l’extrême paresse. Cette indolence ne fait que croître avec les années. Après la mise en liberté de M. de Sade et pendant les quatre ou cinq ans qui ont précédé leur rupture, Gaufridy ne songe plus qu’à défendre son repos contre le marquis, et quelquefois rien n’est plus propre à défendre le marquis contre lui-même. Il endure sans souffler mot les récriminations et bientôt les injures de son fantasque client ; il ne répond plus à ses lettres ; il ne les lit plus ; il tremble pour sa sécurité sans avoir le courage de rompre avec ce ci-devant incommode, mais sa conscience professionnelle reste jalouse, et il ne sort de son apathie que quand on le soupçonne d’avoir manqué aux commandements de son état. Ne nous moquons pas de ce trait ; on le rencontre encore chez tous ses pareils et c’est cette susceptibilité spécialisée de l’homme en place qui a ménagé