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MARQUIS DE SADE — 1791
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Au lieu de cent vingt francs, vous m’en envoyez trois cents. Je vous remercie de votre générosité, elle ne pouvait venir plus à propos. Mille choses auxquelles je ne m’attendais pas ont absorbé le charmant billet bleu, et il est mort……

Depuis la mort de madame de Raousset, j’ai écrit deux fois à madame de Villeneuve et n’ai encore reçu aucune réponse. Il me semble que cela ne prouve pas de sa part bien de la chaleur à réparer les sottises de madame de Raousset. Au reste, qu’elle vive et qu’elle se porte bien, c’est tout ce que je lui demande. Je lui suis fort attaché, et vous connaissez assez mon désintéressement pour être bien sûr que sa succession ne me dédommagerait pas de sa perte. Il n’en faut pas moins avoir l’œil à tout ce qui se passera sur cela. Pour quant à moi, je vous le répète, il m’est absolument impossible d’aller vous trouver avant le mois de mai. Je suis fort aise que vous ayez reconnu à ma pauvre cousine les mêmes défauts dont je vous ai parlé, mais elle est morte. Laissons sa cendre en paix. La meilleure de toutes les façons de profiter de la succession de madame de Raousset, passée à madame de Villeneuve, estimée par Ripert cent mille francs à ce qu’il vient de me dire, la meilleure façon, dis-je, d’en profiter, est de lui emprunter beaucoup d’argent, de placer comme il faut cet argent, de lui payer les intérêts avec la rente du dit argent, et à sa mort, fonds et intérêts tout me rentre. Je ne connais pas de meilleure et de plus sûre façon que celle-là pour tout avoir. Et si, pour commencer, vous pouviez avoir d’abord les vingt-quatre mille francs de la maison, cela serait charmant. Vous avez déjà eu cette idée, elle est de vous, exécutez-la et envoyez-moi la dite somme le plus tôt possible au lieu de vendre. Ce procédé serait délicieux ; dites-lui que si je meurs avant elle je lui laisserai la maison, pour mes enfants n’en jouir qu’après elle ; cela la décidera peut-être. Ne négligez pas cette manœuvre, avocat, ce serait là le meilleur de tous les coups possibles. Je sais à présent quelle est la cousine qui me reste. Je connais Julie[1] à merveille et l’ai toujours aimée de tout mon cœur. Dites-lui mille et mille choses pour moi ; vous avez absolument rectifié mes idées sur cela, et je vous en remercie. Souvenez-vous, en envoyant la caisse en question, que vous appelez caisse je ne sais pourquoi, car ce que j’avais laissé et emballé moi-même était bien certainement une cassette (il y a grande apparence que la demoiselle Rousset, aidée des pieux conseils de la dame de Sade, a tripoté dans tout cela), souvenez-vous bien, toujours, avant que de me lancer la dite caisse, de vous bien assurer qu’elle ne sera pas ouverte jusqu’à Paris. Il n’y avait de fautes, dans votre emballage dernier, que de n’avoir pas mis les pots de confitures dans des petites caisses ; ils ont coulé, tout a dépendu de là, et c’est d’autant plus fâcheux que ces confitures étaient excellentes. Un des plus fameux gourmands de Paris a dit n’avoir de ses jours rien mangé d’aussi bon que vos petites cerises. Ceci me rappelle le vin cuit ; n’aurait-il point coulé par hasard en route ?……

  1. Madame de Martignan, fille de madame de Villeneuve, retirée au couvent, à Apt.