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MARQUIS DE SADE — 1792
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En un mot, ce que je crois voir de très clair à tout cela, c’est qu’il en sera pour moi de cette succession comme de toutes les autres, c’est-à-dire que j’en serai pour mon deuil. D’après cela, ce que je lui souhaite bien sincèrement, c’est qu’elle vive plus longtemps que moi, afin de n’avoir pas deux chagrins à la fois : celui de la perdre et celui d’en être déshérité.

Mais où la chère dame a-t-elle pris, je vous conjure de me l’apprendre, que j’avais envie de lui envoyer mes œuvres philosophiques ? Si j’y ai jamais pensé, je veux que la peste m’étouffe !…… À l’égard de mes invectives sur les Montreuil, elle ne se rappelle pas encore, la bonne dame, que c’est elle qui a commencé. Il est vrai qu’il n’a pas fallu grand chose pour m’échauffer le crâne. On est éloquent lorsqu’il s’agit d’invectiver ce qu’on déteste ; mais qu’elle se tranquillise encore sur cela. Je ne lui en parlerai plus. Je l’ai vue autrefois très opposée à toute cette canaille montreuillique ; elle les aime à présent… à la bonne heure ! Je lui réponds de n’être jamais son rival……

Au nom de Dieu, faites donc taire Conil ! Je vous envoie sa lettre avec ma courte réponse au bas. Faites-la lui savoir, si vous la trouvez juste ; si elle ne l’est pas, tergiversez et calmez-le jusqu’à mon arrivée, mais dans tous les cas faites-le taire, car de ma vie je n’ai vu d’âne braire aussi fort que cet animal-là. Assurez-le bien que je ne lui répondrai jamais, qu’il est par conséquent très inutile qu’il m’écrive, et surtout des lettres aussi insolentes que celle-la. Le décret de l’assemblée égalise les hommes, mais il n’assimile point, il ne réunit point l’homme à la bête, et Conil, d’après cela, devant sentir ses distances qu’il oublie, devrait, au lieu de m’écrire, rentrer à l’écurie, demander de l’avoine et se taire……

Rien, mon cher avocat, n’est maintenant certain comme mon voyage…… Éclairez-moi maintenant sur une infinité de choses. Où logerai-je ? Où habiterai-je ? Où établirai-je mon quartier général ? Je serai peu de temps en Provence, trois mois au plus, et, pendant ces trois mois, nous courrons, vous et moi, beaucoup. Mais encore faut-il que ma tente soit placée quelque part. Il faut un domicile, un point de réunion ; où le prendrai-je ? Mazan, inlogeable ; Saumane, j’en ai peur ; la Coste, un peu de dégoût, du château s’entend, car je pencherais assez pour une maison dans le village ; mais cette habitation villageoise n’a-t-elle pas l’air de la crainte et de la timidité ? Préférée par des sentiments d’égalité, de bonhomie, de démocratie, ne sera-t-elle pas, et blâmée par mes égaux, et méchamment dévoilée dans son principe par mes inférieurs ? Portez, cher avocat, la plus scrupuleuse attention sur la réponse que vous allez me faire au conseil que je vous demande et décidez-moi promptement, car, en conséquence de votre réponse, je ne vous écris plus que pour consolider nos arrangements. Une des grandes raisons qui me fait pencher pour le séjour d’Apt ou d’une maison au village de la Coste, c’est que j’aurai une amie avec moi et que c’est à cause de cela que je veux que ma conduite soit dans le plus grand jour. Cette amie, qui, très certainement, n’est pas autre chose avec moi, est, très certainement encore, une très honnête femme. Il n’y a pas le plus petit louche ni sur