Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — 1792
313


retour dans votre patrie, dont l’on venait de m’assurer que vous exilaient les troubles. Quoique il paraisse à votre lettre que l’agitation y est encore bien grande, je vous avoue pourtant que j’ai été bien satisfait de vous y voir rentrer. Puisse-t-on vous y laisser en paix. Hélas ! après tout ce qui se passe, il faut en vérité s’en flatter beaucoup plus que le croire, car il n’y a maintenant pas un honnête homme qui puisse compter sur vingt-quatre heures de vie. Je ne vous ai pas répondu plus tôt parce qu’il m’arriva l’autre jour une visite inattendue à laquelle j’étais bien loin de m’attendre. Devinez… Le chevalier. Il y avait deux ans que je ne l’avais vu ; il venait de m’écrire de cent soixante lieues, et tout à coup le voilà qui entre dans ma chambre et qui me saute au col. Il était envoyé par le marquis de Toulongeon dont il est aide de camp. Il apportait en courrier une lettre importante, et repartait tout de suite avec la réponse. À peine avons-nous été quatre ou cinq heures ensemble……

Je vous avertis que je veux et que j’exige absolument entrer pour moitié dans les frais de votre garnison de vingt-quatre hommes pendant trois jours. Il y a bien eu quelque chose de relatif à moi dans les causes de l’humeur jacobite qui vous a fait donner une si forte charge ; il est donc juste que je la partage et je l’exige. Mandez-moi un peu qui sont à peu près ceux de la Coste qui se sont portés avec tant d’acharnement à Apt. Quel est en général l’esprit des Costains ? Quels sont les jacobins de la Coste ? Si un Payan que je vois ici, sur nos listes d’enragés venus à Paris comme administrateurs, n’est pas notre petit Payan de la Coste ? En un mot, comment vous croyez qu’on me recevra à la Coste, si c’est là où se fait ma résidence pendant mon voyage de trois ou quatre mois, soit cette année, soit la prochaine ? L’humeur de tous ces gens-là se porte-t-elle seulement sur les prêtres qui n’ont pas voulu faire le serment, ou agit-elle un peu aussi contre les possesseurs de fonds ? Si Jourdan[1] et ses complices ont obtenu leur liberté, le Comtat est perdu ! Il n’y a pas ici deux manières de voir cela et malheureusement, quand on leur offre ces vérités à l’assemblée, ils les rejettent avec acharnement……

La faction jacobite a fait tomber le mois passé une pièce de moi au Théâtre Italien, seulement parce qu’elle était d’un ci-devant. Ils y parurent en bonnet de laine rouge. C’était la première fois que l’on voyait pareille chose. Cette mode a duré quinze jours, au bout desquels le maire en a obtenu l’anéantissement, mais il m’était réservé d’en être la première victime. Je suis né pour ces choses-là. Je vous embrasse et vous recommande d’avoir bien soin de votre santé dans tout ceci.

  1. Jouve, dit : Lamotte, dit : Jourdan-Coupe-Tête. Arrêté après la découverte du charnier de la Tour de la Glacière, à Avignon, par les commissaires de l’Assemblée législative, le « vainqueur » de Sarrians fut acquitté, puis nommé capitaine de gendarmerie. Il devait être guillotiné, par la suite, comme modéré !