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ou moins de force et de clairvoyance pour le résoudre, en face d’un double problème d’une objectivité toute royale : celui d’une autorité à refaire et d’une nouvelle féodalité à abattre.

Personne n’a d’ailleurs mieux montré que notre marquis, par ses lettres et par son exemple, que les dogmes nouveaux, s’ils ont substitué au vieux recrutement au choix du personnel politique la bataille dans l’escalier à laquelle nous assistons encore, ne se seraient pas imposés sans l’appui de la clientèle que lui ont apporté le déplacement des richesses causé par l’avilissement du papier-monnaie, la distribution à vil prix des biens nationaux, la spéculation et l’agiotage, ou, si l’on veut, sans ce renouveau d’activité sans scrupule et cette prospérité sans honneur qui se manifestent toujours aux époques où l’argent trouve dans son discrédit une puissance nouvelle. La France moderne est née, comme tous les régimes peut-être, à un moment où il était plus facile de faire fortune que de gagner honnêtement sa vie, et cette révolution-là ce n’est pas la Terreur, car Robespierre savait bien que la liberté est à la fois l’ennemie de l’autorité et le meilleur auxiliaire de la force, c’est la réaction thermidorienne qui l’a faite.

« Tout n’est que cercles et périodes », disait justement Saint-Simon, et la main passe à chaque voyage. Mais les nouveaux nantis sentent que le pouvoir resterait toujours en conteste s’ils ne choisissaient parmi eux quelqu’un qui fût capable d’affermir leur possession en leur refaisant une conscience. Celui-ci rend leur lustre aux hautes fonctions ; il restaure à coups de décrets le prestige du soldat, du savant et du cuistre ; il impose les grandes pénitences nationales ; il emprunte au passé ce qu’il lui faut de disciplines traditionnelles pour refaire une culture d’état et fixer provisoirement les destinées.

L’histoire de vingt-six ans de vie française est, d’ailleurs, contée dans nos lettres comme on ne songerait pas à le faire du haut d’une chaire ou d’une tribune. Leurs auteurs ne sont occupés que d’eux-mêmes, et surveillent d’autant moins leurs pensées qu’ils les confient à l’oreille d’un conseiller subalterne. Ils n’écrivent pas pour le plaisir, sauf parfois celui de médire, mais pour avancer leurs affaires, et ces écrits, qui sont autant de vues prises du même objet à des points différents, reconstituent la vérité par touches successives, en même temps qu’ils déconcertent la fâcheuse habitude d’esprit que nous avons prise, sous le règne de l’opinion, de chercher dans chaque fait la justification d’une doctrine. C’est pourquoi j’ai trouvé le plus vif plaisir à rapprocher des propos qui disent