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MARQUIS DE SADE — AN VIII.
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pour votre père. Voilà mon dernier mot ; je ne la donne pas à un sol de moins.


Le marquis écrit à « la citoyenne demoiselle Archias », qu’il est à la veille d’être emprisonné pour dettes. (Versailles, 3 ventôse).

Connaissant votre âme pieuse et sensible, mademoiselle, je m’adresse à vous avec confiance pour vous engager à presser M. Gaufridy de venir à mon secours dans la terrible situation où je me trouve. Je vais vous raconter les faits, espérant qu’ils attendriront un cœur aussi humain et aussi compatissant que le vôtre.

Le premier de ce mois ventôse, le citoyen Cazade, commissaire du gouvernement de notre arrondissement et sous la surveillance duquel je suis, vint prévenir madame Quesnet et moi que deux garnisaires, nous coûtant douze francs par jour, venaient d’être placés dans notre maison de Saint-Ouen, faute de pouvoir payer nos contributions, vu l’état affreux dans lequel depuis trois ans nous laisse M. Gaufridy.

Au même instant où cet honnête homme venait me donner ce cruel avis, un huissier entre et m’arrête pour défaut de paiement de deux effets, à l’ordre des gens qui nous nourrissent sans recevoir un sol depuis un an et que je n’avais souscrits que trompé par les fausses paroles à moi données par Charles, qui me joue et m’amuse de jour en jour depuis trois mois. Heureusement que M. Cazade était là et qu’il a suspendu l’effet de l’arrestation en me réclamant sous sa surveillance et en demandant un sursis de huit jours, sauf à me consigner lui-même en prison, si je ne paie pas le neuf ventôse.

Madame Quesnet, dont vous connaissez le respect et l’attachement pour vous, mademoiselle, madame Quesnet, dis-je, présente à cette scène, est tombée dans un accès de maux de nerfs qui l’a privée de sa connaissance deux grandes heures et dont elle ne s’est relevée qu’avec une fièvre épouvantable qui la tient au lit sans que j’aie de quoi lui donner seulement les remèdes de première nécessité et pas même un bouillon.

Voilà, mademoiselle, où me réduisent les cruelles négligences, la criminelle apathie de M. votre frère. Je vous implore pour le supplier d’arracher enfin l’argent de ces fermiers d’Arles et de me le faire à l’instant passer. Hélas ! il ne sera vraisemblablement plus temps lorsqu’il arrivera !… Une affreuse prison sera mon asile, un froid tombeau celui de ma digne et respectable amie !

Et voilà donc où conduisent l’insouciance, l’avarice et l’égoïsme !… Être Suprême, s’il est vrai que tu exiges de nous un culte, le plus cher à tes yeux ne doit-il pas être celui que te prétentent les vertus ? Et quelque ardeur que mettent les hommes à t’adorer, peux-tu te rendre à leurs prières, quand le cœur qui te les adresse n’est souillé que de cruauté, n’est empreint que d’ingratitude ?