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autrui et de la vanité de tout le reste. L’abjection de son neveu le gêne et il ne cache pas son désir de voir mettre sous clef ce vaurien incommode, mais sa réprobation est aussi peu efficace qu’elle est entière. La folie des gens de la Coste n’a d’égale à ses yeux que celle de la présidente. Il ferait mieux s’il voulait s’en donner la peine, mais la peine passe ses forces, et tout peut bien aller à la billebaude dès lors qu’on n’agit pas selon ses conseils. Sa politesse un peu aigre s’accorde aussi bien avec son dépit qu’avec sa nonchalance ennuyée.

Le commandeur son frère, plus tard bailli et grand prieur de Toulouse, est bien plus réjouissant et bien plus épais. C’est le modèle du vieux garçon et de l’égoïste. Je ne dis pas assez : il est à peine humain tant il est formidablement armé pour sa sauvegarde, et il faudrait le vocabulaire de la biologie pour décrire les organes de défense et de réaction dont il se protège. Cet amour de soi-même se couvre au demeurant, comme d’une cuirasse d’ennui, de tous les poncifs de la morale et de la bienséance. Il est toujours de l’opinion la plus commune et la plus raisonnable ; il est invulnérable comme un honnête homme et se roule dans le bon sens comme un bousier dans sa pâture. Ainsi, bien pourvu de doctrine et bardé de lourde rhétorique, il dort jusqu’au moment où, sentant venir l’ennemi, il lâche sa bordée et se dérobe dans un nuage de mots tel le calmar dans son encre.

Quand le commandeur parle c’est par sentences, mais il n’agit jamais. Il faut lui tirer les couvertures pour l’arracher à son lit. Cependant sa fortune se fait toute seule. La famille ne jure que par lui ; madame de Montreuil elle-même s’y laisse prendre et on lui donne l’administration des biens du marquis. Il ne fait rien de plus dans sa nouvelle charge, sinon un grand charroi des meubles de son neveu au château de Mazan, où il veut habiter et qu’il fait réparer en compte de curatelle. On trouve encore des raisons pour le justifier. L’illusion persiste jusqu’à sa mort ; elle lui survit. Est-ce la plus pompeuse des ganaches, ou a-t-il appris par étude que le grand secret du bonheur est de se rétracter en bourdonnant comme un coquillage ?

Les tantes religieuses me font penser à un insecte marin qui se trouve à l’aquarium de Monaco. C’est une bestiole enfouie dans le sable et dont on ne voit qu’une antenne pourvue d’un œil périscopique qui troue de temps en temps la surface du sol, promène un regard circulaire et disparaît. Ces nonnes ont le même coup d’œil sur le monde. Le couvent est leur habitat naturel ; elles y vivent mollement des pensions qu’on