court, sa superbe crève vite. Sa démesure naturelle lui fait faire les pires
sottises, mais il se dégrise bientôt pour revenir à de petites machinations,
à des finesses de fournisseur ou de valet. Il se dérobe à toute entreprise
un peu longue, ou bien il vole à ailes sourdes autour de l’objet qui le
fascine. Il n’a d’audaces que sur le papier. En toutes autres occasions
il se fait petit et ne reprend de l’assurance que lorsqu’il est le cul à terre.
Il n’a aucun orgueil ; il essaie de se faire oublier tout en se poussant de
son mieux par de petits moyens. Il procède par pots de vin ; il achète
les complaisances des policiers et des commis, et on le rencontre de
préférence dans les escaliers de service. Son seul souci est d’assurer sa
sécurité et de créer, par surcroît, quelques remous dans son sillage. Il
ne déteste pas la gloire, même un peu tachée de mépris, et cette vanité
toute littéraire lui a valu sa sixième et dernière prison, mais au demeurant
sa plume est à vendre et il ne s’en cache pas. Son abjection croît
avec les années, et il faut reconnaître qu’il touche à la perfection par
la tranquillité qu’il goûte dans la bassesse, par l’application désabusée
qu’il met à satisfaire ses petits besoins et ses petites vanités. Cette humilité
mêlée de bouffe et d’indolence est peut-être ce qu’on a réalisé de
mieux dans le vice. C’est une leçon à méditer par ceux de ses pareils
qui se prennent et se font prendre trop facilement au sérieux. M. de
Sade ne s’est pas servi de ses aberrations pour parvenir à la fortune ;
il s’y est livré par nature et non par satiété, il n’en a pas tiré un bréviaire
de morale et de haute culture. Il sait que la parfaite corruption,
comme la parfaite vertu, n’est qu’un simple accommodement des passions
communes et que la caravane est toujours au complet lorsqu’elle approche
du puits. Son cas ne comporte ni déformation mystique ni excès
d’orgueil, ni inquiétude ; il a de l’assiette comme un honnête homme !
Sa plus constante cupidité est celle de l’argent et il n’a reculé devant aucune bassesse pour la satisfaire. C’est une erreur commune que de confondre l’imprévoyance des prodigues avec le désintéressement, car ils n’affectent d’ordinaire de mépriser ce qu’ils convoitent que pour tendre la main avec plus d’aisance et oublier de rendre avec plus de naturel. Le marquis est tout à fait de cette école, mais il n’est même pas un prodigue. S’il a mal fait ses affaires, le culte qu’il rend à l’argent n’en est pas moins d’une orthodoxie parfaite. Il n’est pas large de paume. Il y a même chez lui quelque chose qui sent le comptoir ou la banque. Il établit ses comptes par « doit » et « avoir », avec balance et preuve, sans rabattre les centimes. Il devient malade à la seule pensée de ne pas