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— XLVIII —


ture est des plus plaisantes, mais aussi des plus communes. Ce débauché veut qu’on trouve en Quesnet toutes les vertus bourgeoises : la piété, la douceur, l’ordre, la retenue. Il bêtifie devant elle ; il l’appelle « Sensible ». S’il demande de l’argent, c’est uniquement pour elle ; s’il fait un pathétique appel à l’amitié de Gaufridy, c’est afin que son abandon ne déçoive pas l’affection que Sensible lui a vouée. Elle est toujours en tiers dans tout ce qu’il fait ; il mêle son nom à tous ses propos ; il ne souffre pas qu’on l’oublie. C’est un ange que le ciel lui a envoyé. Il s’ennuie d’elle lorsqu’il la quitte. Du reste il use d’elle sans vergogne et elle de lui. Quesnet lui sert de prête-nom pour évincer ses créanciers, il la fait passer pour sa fille naturelle afin de frauder le fisc, elle hante les antichambres ministérielles et les bureaux de police, elle court « par des temps horribles », tandis que le marquis veille comme un grand père sur le fils de la citoyenne, au moment même où il couvre ses propres enfants de malédictions. Au fait Quesnet lui donne tout ce dont il a besoin ; elle s’attache à lui tout en prenant son bien ; elle ne l’a pas abreuvé de ces petites infamies dont les honnêtes gens sont si prodigues envers les fripons, et qui n’ont pas été épargnées à M. de Sade. Ils ont mis en commun leurs bonnes et leurs mauvaises chances et accouplé leurs destinées dans la fange moelleuse d’un faux ménage. Que signifie cela ? Est-ce, chez le marquis, pure déchéance sénile ? C’est sa nature même qui s’étale. Les chaleurs de rein ont passé ; il se ventrouille à l’aise ; il a le cœur content et sa soupe bien cuite ; il met désormais, en toute quiétude, les dévergondages de son imagination au service de son libraire ; il invoque, dans son abjection, les préceptes moraux de sa caste parce qu’ils qualifient son bien être. Ce filleul de Condé finit, comme Oblomoff, dans les rêts culinaires de la citoyenne Quesnet.

Tel est à peu près le marquis d’après les témoignages qu’il a laissés sur lui-même. Malgré Keller et les bonbons cantharidés, les filles de Lyon et de Vienne, Nanon, Justine, les jeunes secrétaires, les pèlerins de la Coste, les petites feuilles et les révélations de Marais, je n’arrive pas à le prendre au sérieux. Ses vices sont trop semblables à une maladie de peau ; il est trop dépourvu de contrôle sur lui-même, d’inquiétude dans le mal, d’ambition dans la révolte, son esprit est trop ingénument pervers, sa littérature trop ennuyeuse. Tout est faute chez lui, c’est-à-dire manquement ou faillite.

J’espère cependant qu’on le trouvera meilleur épistolier qu’écrivain et qu’il amusera, comme Karageuz, à force d’être insupportable. Il