Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
CORRESPONDANCE INÉDITE DU


yeux du monde au moment même où il se ventrouille chez lui. Elle a remis la main sur le prévôt de Saint-Victor, qui d’ailleurs ne fait rien sans l’aveu de la présidente, et obtient de lui qu’il aille préparer les voies auprès du premier président et des magistrats du parlement d’Aix. Mais ces messieurs estiment qu’il faut un ordre du chancelier de revoir la procédure et qu’alors seulement, mais de sûre façon, le marquis sera jugé une seconde fois et sera blanchi. C’est M. de Maupeou qui a été la cause d’une sentence inique car il n’y avait pas, dans l’information, de quoi pousser des juges dignes de ce nom à condamner. Mais madame de Sade demande trop au comte-abbé, même de l’argent. Il accepte un rendez-vous à Aix, puis se hâte de prendre le large. On presse également l’abbé d’Ebreuil, mais la présidente joint en vain ses instances à celles de sa fille pour l’amener à faire auprès des magistrats une démarche qu’il juge absurde « avant qu’on ait obtenu un arrêt du conseil qui, en évoquant l’affaire, en renvoie la décision au parlement d’Aix ».

Ces intrigues, et d’autres encore, se poursuivent jusqu’au vingt juin, jour où Nanon attache l’escarmouche pour son propre compte.

Nanon est chambrière au château. Elle est née d’Annet Sablonnière, laboureur du pays de Thiers en Auvergne. Gothon la tient en grande estime. C’est une fille propre à bien armer un lit et dont la langue va comme un traquet. Elle a vingt-quatre ans et elle est grosse des œuvres de son maître car la garce passait le plat quand les petites filles avaient apporté les épices. Bien que la marquise affecte de ne rien savoir, Nanon voit bien qu’on louche vers son ventre et, comme elle se doute de ce qu’on lui prépare, sa mauvaise humeur enfle avec lui. En fait le ménage a déjà demandé à madame de Montreuil une lettre de cachet pour la donzelle, lorsqu’une gueulée de celle-ci interrompt son attente. Monsieur eût été plus patient, madame s’y laisse prendre : l’altercation est terrible ! La fille s’enfuit comme une folle, mais le danger est précisément qu’elle gagne au pied et disparaisse. La marquise effrayée écrit à Gaufridy. Elle se garde de faire aucune allusion à l’état de sa chambrière, mais elle l’accuse d’être « la cause de tout le train de cet hiver » et craint qu’elle aille se joindre à la cabale de Lyon et devienne très dangereuse. Il faut donc la tenir en main jusqu’à ce que l’ordre du roi soit arrivé, et, par un trait de fausseté qui ne lui est point ordinaire, mais qui peint ce dont une femme est capable dans l’embarras, madame de Sade accuse Nanon de lui avoir volé trois couverts d’argent et demande à l’avocat de la faire arrêter sous ce prétexte, s’il ne peut s’assurer d’elle plus