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LETTRE CINQUIÈME.


Valcour à Aline.


12 Juin



Oui, mon Aline, j’ai tort, et vous me le faites sentir ; la confiance est la plus douce preuve de l’amour, et j’ai l’air de vous l’avoir refusée, en ne vous racontant pas les malheurs de ma vie ; mais ce silence de ma part, depuis le temps que je vous connais, a sa source dans deux principes que vous ne blâmerez pas : la crainte de vous ennuyer par des récits qui n’intéressent que moi, et la vanité qui souffre à les faire. On voudrait s’élever sans cesse aux yeux de ce qu’on aime, et l’on se tait quand ce qu’on peut dire de soi, n’a rien qui doive nous flatter. Si le sort m’eût lié avec toute autre, peut-être eussé-je eu moins d’orgueil ; mais vous sûtes m’en inspirer tant, dès que je crus vous avoir rendu sensible, que vous me fîtes, dès ce moment, rougir de moi-même et de mon audace à placer dans vos fers un esclave aussi peu fait pour vous. Je me sentais si loin