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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/122

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Comte de Bressac, cette indifférence que vous ſuppoſez dans la Nature, n’eſt encore ici que l’ouvrage des ſophismes de votre eſprit. Daignez écouter plutôt votre cœur, & vous entendrez comme il condamnera tous ces faux raiſonnemens du libertinage ; ce cœur, au tribunal duquel je vous renvoye, n’eſt-il donc pas le Sanctuaire où cette Nature que vous outragez veut qu’on l’écoute & qu’on la reſpecte ? Si elle y grave la plus forte horreur pour le crime que vous méditez, m’accorderez-vous qu’il eſt condamnable ? Les paſſions, je le ſais, vous aveuglent à préſent, mais auſſitôt qu’elles ſe tairont, à quel point vous déchireront les remords ? Plus eſt grande votre ſenſibilité, plus leur aiguillon vous tourmentera… Oh ! Monſieur, conſervez, reſpectez les jours de cette tendre & précieuſe amie ; ne la ſacrifiez point ; vous en péririez de déſeſpoir ! Chaque jour… à chaque inſtant, vous la verriez devant vos yeux cette tante chérie qu’aurait plongée dans le tombeau votre aveugle fureur ; vous entendriez ſa voix plaintive prononcer encore ces doux noms qui faiſaient la joie de votre enfance ; elle apparaîtrait dans vos veilles & vous tourmenterait dans vos ſonges ; elle ouvrirait de ſes doigts ſanglans les bleſſures dont vous l’auriez déchirée ; pas un moment heureux dès-lors ne luirait pour vous ſur la terre ; tous vos plaiſirs ſeraient ſouillés ; toutes vos idées ſe troubleraient ; une main cé-