Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/20

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cheveux blonds, voilà l’eſquiſſe de cette cadette charmante, dont les graces naïves & les traits délicats ſont au-deſſus de nos pinceaux.

On leur donna vingt-quatre heures à l’une & à l’autre pour quitter le Couvent, leur laiſſant le ſoin de ſe pourvoir, avec leurs cent écus, où bon leur ſemblerait. Juliette enchantée d’être ſa maîtresse, voulut un moment eſſuyer les pleurs de Juſtine, puis voyant qu’elle n’y réuſſirait pas, elle se mit à la gronder au lieu de la conſoler : elle lui reprocha ſa ſenſibilité ; elle lui dit avec une philoſophie très-audeſſus de ſon âge, qu’il ne fallait s’affliger dans ce monde-ci que de ce qui nous affectait perſonnellement ; qu’il était poſſible de trouver en ſoi-même des ſenſations phyſiques d’une aſſez piquante volupté pour éteindre toutes les affections morales dont le choc pourrait être douloureux ; que ce procédé devenait d’autant plus eſſentiel à mettre en uſage, que la véritable ſageſſe conſiſtait infiniment plus à doubler la ſomme de ſes plaiſirs, qu’à multiplier celle de ces peines ; qu’il n’y avait rien, en un mot, qu’on ne dût faire pour émouſſer dans ſoi cette perfide ſenſibilité, dont il n’y avait que les autres qui profitaſſent, tandis qu’elle ne nous apportait que des chagrins. Mais on endurcit difficilement un bon cœur, il réſiſte aux raiſonnemens d’une mauvaiſe tête, & ſes jouiſſances le conſolent des faux brillans du bel-eſprit.