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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/230

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gouvernante diſparut ; elle était vraiſemblablement gagnée ; je fus amenée ici en poſte. Toutes les autres ſont dans le même cas. La fille de vingt ans appartient à l’une des familles les plus diſtinguées du Poitou. Celle de ſeize eſt fille du Baron de ***, l’un des plus grands Seigneurs de Lorraine ; des Comtes, des Ducs, & des Marquis ſont les peres de celles de vingt-trois, de celles de douze, de celle de trente deux ; pas une enfin qui ne puiſſe réclamer les plus beaux titres, & pas une qui ne ſoit traitée avec la derniere ignominie. Mais ces malhonnêtes gens ne ſe ſont pas contentés de ces horreurs, ils ont voulu déshonorer le ſein même de leur propre famille. La jeune perſonne de vingt-ſix, l’une de nos plus belles ſans doute, eſt la fille de Clément ; celle de trente-ſix eſt niece de Jérôme.

» Dès qu’une nouvelle fille eſt arrivée dans ce cloaque impur, dès qu’elle y eſt à jamais ſouſtraite à l’univers, on en réforme auſſitôt une, & voilà chere fille, voilà le complément de nos douleurs ; le plus cruel de nos maux eſt d’ignorer ce qui nous arrive, dans ces terribles & inquiétantes réformes. Il eſt abſolument impoſſible de dire ce qu’on devient en quittant ces lieux. Nous avons autant de preuves que notre ſolitude nous permet d’en acquérir, que les filles réformées par les Moines ne reparaiſſent jamais ; eux-mêmes nous en préviennent, ils ne nous cachent pas que cette