ne conſidérant que lui ſeul dans l’univers, c’eſt à
lui ſeul qu’il rapporte tout. S’il ménage ou careſſe
un inſtant les autres, ce n’eſt jamais que
relativement au profit qu’il croit en tirer ; n’a-t-il
plus beſoin d’eux, prédomine-t-il par ſa force,
il abjure alors à jamais tous ces beaux ſyſtêmes
d’humanité & de bienfaiſance auxquels il ne ſe
ſoumettait que par politique ; il ne craint plus de
rendre tout à lui, d’y ramener tout ce qui l’entoure,
& quelque choſe que puiſſe coûter ſes
jouiſſances aux autres, il les aſſouvit ſans examen,
comme ſans remords. — Mais l’homme dont
vous parlez eſt un monſtre. — L’homme dont je
parle eſt celui de la Nature. — C’eſt une bête féroce.
— Eh bien, le tigre, le léopard dont cet
homme eſt, ſi tu veux, l’image, n’eſt-il pas comme
lui créé par la Nature & créé pour remplir les
intentions de la Nature ? Le loup qui dévore l’agneau
accomplit les vues de cette mere commune,
comme le malfaiteur qui détruit l’objet de
ſa vengeance ou de ſa lubricité. — Oh ! vous
aurez beau dire, mon pere ; je n’admettrai jamais
cette lubricité deſtructive. — Parce que tu crains
d’en devenir l’objet, voilà l’égoïſme ; changeons
de rôle tu la concevras ; interroge l’agneau,
il n’entendra pas non plus que le loup puiſſe le
dévorer ; demande au loup à quoi ſert l’agneau :
à me nourrir, répondra-t-il. Des loups qui mangent
des agneaux, des agneaux dévorés par les
Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/264
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 256 )