Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 256 )


ne conſidérant que lui ſeul dans l’univers, c’eſt à lui ſeul qu’il rapporte tout. S’il ménage ou careſſe un inſtant les autres, ce n’eſt jamais que relativement au profit qu’il croit en tirer ; n’a-t-il plus beſoin d’eux, prédomine-t-il par ſa force, il abjure alors à jamais tous ces beaux ſyſtêmes d’humanité & de bienfaiſance auxquels il ne ſe ſoumettait que par politique ; il ne craint plus de rendre tout à lui, d’y ramener tout ce qui l’entoure, & quelque choſe que puiſſe coûter ſes jouiſſances aux autres, il les aſſouvit ſans examen, comme ſans remords. — Mais l’homme dont vous parlez eſt un monſtre. — L’homme dont je parle eſt celui de la Nature. — C’eſt une bête féroce. — Eh bien, le tigre, le léopard dont cet homme eſt, ſi tu veux, l’image, n’eſt-il pas comme lui créé par la Nature & créé pour remplir les intentions de la Nature ? Le loup qui dévore l’agneau accomplit les vues de cette mere commune, comme le malfaiteur qui détruit l’objet de ſa vengeance ou de ſa lubricité. — Oh ! vous aurez beau dire, mon pere ; je n’admettrai jamais cette lubricité deſtructive. — Parce que tu crains d’en devenir l’objet, voilà l’égoïſme ; changeons de rôle tu la concevras ; interroge l’agneau, il n’entendra pas non plus que le loup puiſſe le dévorer ; demande au loup à quoi ſert l’agneau : à me nourrir, répondra-t-il. Des loups qui mangent des agneaux, des agneaux dévorés par les