ſoir la Duvergier rétrécit, rajuſte, & pendant
quatre mois ce ſont toujours des prémices que la
friponne offre au public. Au bout de cet épineux
noviciat, Juliette obtient enfin des patentes de
ſœur converſe ; de ce moment elle eſt réellement
reconnue fille de la maiſon ; dès-lors elle en partage
les peines & les profits. Autre apprentiſſage ;
ſi dans la première école, à quelques écarts près,
Juliette a ſervi la Nature, elle en oublie les loix
dans la ſeconde ; elle y corrompt entièrement ſes
mœurs ; le triomphe qu’elle voit obtenir au vice
dégrade totalement ſon ame ; elle ſent que, née
pour le crime, au moins doit-elle aller au grand
& renoncer à languir dans un état ſubalterne,
qui, en lui faiſant faire les mêmes fautes, en
l’aviliſſant également, ne lui rapporte pas, à
beaucoup près, le même profit. Elle plaît à un
vieux Seigneur fort débauché, qui ne la fait venir
d’abord que pour l’affaire du moment ; elle a l’art
de s’en faire magnifiquement entretenir ; elle paraît
enfin aux ſpectacles, aux promenades, à côté des
cordons bleus de l’ordre de Cythere ; on la regarde,
on la cite, on l’envie, & la fine créature
ſait ſi bien s’y prendre, qu’en moins de quatre ans
elle ruine ſix hommes, dont le plus pauvre avait
cent mille écus de rente. Il n’en fallait pas
davantage pour faire ſa réputation ; l’aveuglement
des gens-du-monde eſt tel, que plus une de ces
créatures a prouvé ſa malhonnêteté plus on eſt
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