né à Paris, mais poſſédant des biens conſidérables
dans cette contrée, & riche en tout de plus de
cinq cens mille livres de rentes, qu’il mange ſeul,
me dit un de mes guides. — Seul ? — Oui, c’eſt un
homme ſolitaire, un philoſophe : jamais il ne voit
personne ; en revanche, c’eſt un des plus grands
gourmands de l’Europe ; il n’y a pas un mangeur
dans le monde qui ſoit en état de lui tenir tête.
Je ne vous en dis rien, vous le verrez. — Mais
ces précautions, que ſignifient-elles, Monſieur ?
— Le voici. Notre maître a le malheur d’avoir
une femme à qui la tête a tourné ; il faut la garder
à vue, elle ne ſort pas de ſa chambre, perſonne
ne veut la ſervir ; nous aurions eu beau vous le
propoſer, ſi vous aviez été prévenue, vous n’auriez
jamais accepté. Nous ſommes obligés d’enlever
des filles de force, pour exercer ce funeſte
emploi. — Comment ! je ſerai captive auprès de
cette Dame ? — Vraiment oui, voilà pourquoi
nous vous tenons de cette maniere : vous y ſerez
bien… tranquilliſez-vous, parfaitement bien ;
à cette gêne près, rien ne vous manquera. — Ah !
juſte ciel ! quelle contrainte ! — Allons, allons,
mon enfant, courage, vous en ſortirez un jour,
& votre fortune ſera faite. Mon conducteur n’avoit
pas fini ces paroles, que nous apperçumes le château.
C’était un ſuperbe & vaſte bâtiment iſolé
au milieu de la forêt, mais il s’en fallait de beaucoup
que ce grand édifice fût auſſi peuplé qu’il
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