Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/317

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auſſitôt apportés. Après le repas, elle alla prendre l’air ſur la terraſſe, mais en me donnant la main : il lui eût été impoſſible de faire dix pas ſans ce ſecours. Ce fut dans ce moment qu’elle me fit voir toutes les parties de ſon corps que je viens de vous peindre ; elle me montra ſes bras, ils étaient pleins de cicatrices. — Ah ! il n’en reſte pas là, me dit-elle, il n’y a pas un endroit de mon malheureux individu dont il ne ſe plaiſe à voir couler le ſang ; & elle me fit voir ſes pieds, ſon cou, le bas de ſon ſein & pluſieurs autres parties charnues également couvertes de cicatrices. Je m’en tins le premier jour à quelques plaintes légères, & nous nous couchames.

Le lendemain était le jour fatal de la Comteſſe. Monſieur de Gernande, qui ne procédait à cette opération qu’au ſortir de ſon dîner, toujours fait avant celui de ſa femme, me fit dire de venir me mettre à table avec lui ; & ce fut là, Madame, que je vis cet Ogre opérer d’une maniere ſi effrayante, que j’eus, malgré mes yeux, de la peine à le concevoir. Quatre valets parmi leſquels étaient les deux qui m’avaient conduite au château, ſervaient cet étonnant repas. Il mérite d’être détaillé : je vais le faire ſans exagération ; on n’avait ſûrement rien mis de plus pour moi. Ce que je vis était donc l’hiſtoire de tous les jours.

On ſervit deux potages, l’un de pâte au ſaffran,

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