Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/354

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être. C’eſt en confondant ainſi tous les ſentimens, c’eſt en n’analyſant jamais rien, qu’on s’aveugle ſur tout, & qu’on ſe prive de toutes les jouiſſances. — Ah ! Monſieur, interrompis-je avec chaleur, peut-il en être une plus douce que celle de ſoulager l’infortune ! Laiſſons à part la frayeur de ſouffrir ſoi-même, y a-t-il une ſatisfaction plus vraie que celle d’obliger ?… jouir des larmes de la reconnaiſſance, partager le bien-être qu’on vient de répandre chez des malheureux qui, ſemblables à vous, manquaient néanmoins des choſes dont vous formez vos premiers beſoins, les entendre chanter vos louanges & vous appeller leur pere, replacer la ſérénité ſur des fronts obſcurcis par la défaillance, par l’abandon & le déſeſpoir ; non, Monſieur, nulle volupté dans le monde ne peut égaler celle-là : c’eſt celle de la Divinité même, & le bonheur qu’elle promet à ceux qui l’auront ſervie ſur la Terre, ne ſera que la poſſibilité de voir ou de faire des heureux dans le Ciel. Toutes les vertus naiſſent de celle-là, Monſieur ; on eſt meilleur pere, meilleur fils, meilleur époux, quand on connaît le charme d’adoucir l’infortune. Ainſi que les rayons du ſoleil, on dirait que la préſence de l’homme charitable répand ſur tout ce qui l’entoure la fertilité, la douceur & la joie, & le miracle de la Nature, après ce foyer de la lumiere céleſte, eſt l’ame honnête, délicate & ſenſible dont la féli-