Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/357

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cet argent me devenait indiſpenſable. Le monſtre me répondit durement alors qu’il ne tenait qu’à moi d’en gagner, & que je m’y refuſais. — Non, Monſieur, répondis-je avec fermeté, non, je vous le répete, je périrais mille fois plutôt que de ſauver mes jours à ce prix. — Et moi, dit Saint-Florent, il n’y a de même rien que je ne préféraſſe au chagrin de donner mon argent ſans qu’on le gagne : malgré le refus que vous avez l’inſolence de me faire, je veux bien encore paſſer un quart-d’heure avec vous ; allons donc dans ce boudoir, & quelques inſtans d’obéiſſance mettront vos fonds dans un meilleur ordre. — Je n’ai pas plus d’envie de ſervir vos débauches dans un ſens que dans un autre, Monſieur, répondis-je fierement : ce n’eſt pas la charité que je demande, homme cruel ; non, je ne vous procure pas cette jouiſſance ; ce que je réclame n’eſt que ce qui m’eſt dû ; c’eſt ce que vous m’avez volé de la plus indigne maniere… Garde-le, cruel, garde-le, ſi bon te ſemble : vois ſans pitié mes larmes ; entends ſi tu peux, ſans t’émouvoir, les triſtes accens du beſoin, mais ſouviens-toi que ſi tu commets cette nouvelle infamie, j’aurai au prix de ce qu’elle me coûte acheté le droit de te mépriſer à jamais.

Saint-Florent furieux m’ordonna de ſortir, & je pus lire ſur ſon affreux viſage, que ſans les confidences qu’il m’avait faites, & dont il redoutait