Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/364

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un château perché ſur la crête d’une montagne au bord d’un précipice affreux, dans lequel il ſemblait prêt à s’abîmer : aucune route ne paraiſſait y tenir ; celle que nous ſuivions, ſeulement pratiquée par des chevres, remplie de cailloux de tous côtés, arrivait cependant à cet effrayant repaire, reſſemblant bien plutôt à un aſyle de voleurs qu’à l’habitation de gens vertueux.

Voilà, ma maiſon, me dit Roland, dès qu’il crut que le château avait frappé mes regards, & ſur ce que je lui témoignais mon étonnement de le voir habiter une telle ſolitude ; — c’eſt ce qui me convient, me répondit-il avec bruſquerie : cette réponſe redoubla mes craintes, rien n’échappe dans le malheur ; un mot, une inflexion plus ou moins prononcée chez ceux de qui nous dépendons, étouffe ou ranime l’eſpoir ; mais n’étant plus à même de prendre un parti différent, je me contins. À force de tourner, cette antique mazure ſe trouva tout-à-coup en face de nous : un quart-de-lieue tout au plus, nous en ſéparait encore ; Roland deſcendit de sa mule, & m’ayant dit d’en faire autant, il les rendit toutes deux au valet, le paya & lui ordonna de s’en retourner. Ce nouveau procédé me déplut encore ; Roland s’en aperçut. — Qu’avez-vous, Théreſe, me dit-il, en nous acheminant vers ſon habitation : vous n’êtes point hors de France ; ce château eſt ſur les frontieres du Dauphiné, il dépend de Grenoble. — Soit, Monſieur,