Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/383

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permettra pas les ſuccès d’un tel monſtre, & nous ſerons toutes vengées… Grand Dieu ! Après l’experience que j’avais acquiſe, était-ce à moi de raiſonner ainſi !

Vers midi on nous donnait deux heures de repos dont nous profitions pour aller toujours ſéparément reſpirer & dîner dans nos chambres ; à deux heures on nous rattachait & l’on nous faiſait travailler juſqu’à la nuit ; ſans qu’il nous fût jamais permis d’entrer dans le château ; ſi nous étions nues, c’était non-ſeulement à cauſe de la chaleur, mais plus encore afin d’être mieux à même de recevoir les coups de nerf de bœuf que venait de temps en temps nous appliquer notre farouche maître : l’hiver, on nous donnait un pantalon & un gilet tellement ſerrés ſur la peau, que nos corps n’en étaient pas moins expoſés aux coups d’un ſcélérat dont l’unique plaiſir était de nous rouer.

Huit jours ſe paſſerent ſans que je viſſe Roland ; le neuvieme, il parut à notre travail, & prétendant que Suzanne & moi tournions la roue avec trop de moleſſe, il nous diſtribua trente coups de nerf de bœuf à chacune depuis le milieu des reins juſqu’aux gras de jambes.

À minuit de ce même jour, le vilain homme vint me trouver dans mon cachot, & s’enflammant du ſpectacle de ſes cruautés, il introduiſit encore ſa terrible maſſue dans l’antre ténébreux que je lui expoſais par la poſture où il me tenait

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