Entre ſa femme & lui, immolant chaque jour des
victimes, tous deux, dit-on, les faiſaient vivre
vingt-quatre heures, dans les plus cruelles angoiſſes
de la mort, & dans un tel état de douleur
qu’elles étaient toujours prêtes à rendre l’ame
ſans pouvoir y réuſſir par les ſoins cruels de ces
monſtres qui les faiſant flotter de ſecours en tourmens,
ne les rappellaient cette minute-ci à la lumiere,
que pour leur offrir la mort celle d’après…
Moi, je ſuis trop doux, Théreſe, je n’entends
rien à tout cela, je ne ſuis qu’un écolier. Roland
ſe retire ſans terminer le ſacrifice, & me fait
preſqu’autant de mal par cette retraite précipitée,
qu’il m’en avait fait en s’introduiſant. Il ſe jette
dans les bras de Suzanne, & joignant le ſarcaſme
à l’outrage : — aimable créature, lui dit-il, comme
je me rappelle avec délices les premiers inſtans
de notre union ; jamais femme ne me donna des
plaiſirs plus vifs ; jamais je n’en aimai comme toi…
Embraſſons-nous, Suzanne, nous allons nous quitter,
pour bien longtemps peut-être. — Monſtre,
ſecret où les victimes s’immolaient ſous leurs yeux pendant qu’ils jouiſſaient. Théo l’un des ſucceſſeurs de ce Prince eut comme lui une femme très-cruelle ; ils avaient inventé une colonne d’airain que l’on faiſait rougir, & ſur laquelle on attachait des infortunés ſous leurs yeux : « la Princeſſe, dit l’Hiſtorien dont nous empruntons ces traits, s’amuſait infiniment des contorſions & des cris de ces triſtes victimes ; elle n’était pas contente ſi ſon mari ne lui donnait fréquemment ce ſpectacle ». Hiſt. des Conj. page 43, tome 7.