Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/54

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c’eſt de renoncer à des pratiques de vertu qui, comme tu vois, ne t’ont jamais réuſſi ; une délicateſſe déplacée t’a conduite aux pieds de l’échafaud, un crime affreux m’en ſauve ; regarde à quoi les bonnes actions ſervent dans le monde, & ſi c’eſt bien la peine de s’immoler pour elles ! Tu es jeune & jolie, Théreſe, en deux ans je me charge de ta fortune ; mais n’imagine pas que je te conduiſe à ſon temple par les ſentiers de la vertu : il faut quand on veut faire ſon chemin, chere fille, entreprendre plus d’un métier, & ſervir à plus d’une intrigue ; décide-toi donc, nous n’avons point de sûreté dans cette chaumiere, il faut que nous en partions dans peu d’heures.

Oh ! Madame, dis-je à ma bienfaitrice, je vous ai de grandes obligations, je ſuis loin de vouloir m’y ſouſtraire ; vous m’avez ſauvé la vie ; il eſt affreux pour moi que ce ſoit par un crime, croyez que s’il me l’eût fallu commettre, j’euſſe préféré mille morts à la douleur d’y participer ; je ſens tous les dangers que j’ai courus pour m’être abandonnée aux ſentimens honnêtes qui reſteront toujours dans mon cœur ; mais quelles que ſoient, Madame, les épines de la vertu, je les préférerai ſans ceſſe aux dangereuſes faveurs qui accompagnent le crime. Il eſt en moi des principes de religion, qui, graces au Ciel, ne me quitteront jamais ; ſi la Providence me rend pénible la carrière de la vie, c’eſt pour m’en dédommager dans