Cœur-de-fer, vous devez ſervir nos intérêts ou nos
plaiſirs ; vos malheurs vous impoſent ce joug, il
faut le ſubir ; mais vous le ſavez, Théreſe, il n’y
a rien qui ne s’arrange dans le monde, écoutez-moi
donc, & faites vous-même votre ſort ; conſentez
de vivre avec moi, chere fille, conſentez à m’appartenir
en propre, & je vous épargne le triſte
rôle qui vous eſt deſtiné. — Moi, Monſieur,
m’écriai-je, devenir la maîtreſſe d’un… —
Dites le mot, Théreſe, dites le mot, d’un coquin,
n’eſt-ce pas ? Je l’avoue, mais je ne puis vous offrir
d’autres titres, vous ſentez bien que nous n’épouſons
pas, nous autres ; l’hymen eſt un ſacrement,
Théreſe, & pleins d’un égal mépris pour tous, jamais
nous n’approchons d’aucun. Cependant raiſonnez
un peu ; dans l’indiſpenſable néceſſité où vous
êtes de perdre ce qui vous eſt ſi cher, ne vaut-il
pas mieux le ſacrifier à un ſeul homme qui deviendra
dès-lors votre ſoutien & votre protecteur,
que de vous proſtituer à tous ? — Mais pourquoi
faut-il, répondis-je, que je n’aye pas d’autre parti
à prendre ? — Parce que nous vous tenons, Théreſe,
& que la raiſon du plus fort eſt toujours la
meilleure, il y a long-temps que la Fontaine l’a
dit. En vérité, pourſuivit-il rapidement, n’eſt-ce
pas une extravagance ridicule que d’attacher, comme
vous le faites, autant de prix à la plus futile
des choſes ? Comment une fille peut-elle être aſſez
ſimple pour croire que la vertu puiſſe dépendre
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