ſans aſſaſſinats. Les deux délits ſe puniſſant également,
pourquoi ſe refuſer au ſecond, dès qu’il
peut couvrir le premier ? Où prenez-vous d’ailleurs,
continua cette horrible créature, que deux
cens louis ne valent pas trois meurtres ? Il ne faut
jamais calculer les choſes que par la relation
qu’elles ont avec nos intérêts. La ceſſation de
l’exiſtence de chacun des Êtres ſacrifiés, eſt nulle
par rapport à nous. Aſſurément nous ne donnerions
pas une obole pour que ces individus-là fuſſent
ou en vie ou dans le tombeau ; conſéquemment
ſi le plus petit intérêt s’offre à nous, avec l’un de
ces cas, nous devons ſans aucun remords le déterminer
de préférence en notre faveur ; car dans
une choſe totalement indifférente, nous devons,
ſi nous ſommes ſages & maîtres de la choſe, la faire
indubitablement tourner du côté où elle nous eſt
profitable, abſtraction faite de tout ce que peut y
perdre l’adverſaire ; parce qu’il n’y a aucune proportion
raiſonnable entre ce qui nous touche, &
ce qui touche les autres ; nous ſentons l’un phyſiquement,
l’autre n’arrive que moralement à nous,
& les ſenſations morales ſont trompeuſes ; il n’y
a de vrai que les ſenſations phyſiques ; ainſi
non-ſeulement deux cens louis ſuffiſent pour les
trois meurtres, mais trente ſols même euſſent ſuffi,
car ces trente ſols nous euſſent procuré une ſatisfaction
qui, bien que légère, doit néanmoins nous
affecter beaucoup plus vivement que n’euſſent
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