Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/78

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s’il se trouve le plus faible ; car il l’était de même en respectant le pacte, il peut devenir le plus fort en le violant ; & ſi les loix le ramenent à la claſſe dont il a voulu ſortir, le pis-aller eſt qu’il perde la vie, ce qui eſt un malheur infiniment moins grand que celui d’exiſter dans l’opprobre & dans la miſere. Voilà donc deux poſitions pour nous ; ou le crime qui nous rend heureux, ou l’échafaud qui nous empêche d’être malheureux. Je le demande, y a-t-il à balancer, belle Théreſe, & votre eſprit trouvera-t-il un raiſonnement qui puiſſe combattre celui-là ?

— Oh ! Monſieur, répondis-je avec cette véhémence que donne la bonne cauſe, il y en a mille ; mais cette vie d’ailleurs doit-elle donc être l’unique objet de l’homme ? Y eſt-il autrement que comme dans un paſſage dont chaque dégré qu’il parcourt ne doit, s’il eſt raiſonnable, le conduire qu’à cette éternelle félicité, prix aſſuré de la Vertu. Je ſuppoſe avec vous (ce qui pourtant eſt rare, ce qui pourtant choque toutes les lumieres de la raiſon) mais n’importe, je vous accorde un inſtant que le crime puiſſe rendre heureux ici-bas le ſcélérat qui s’y abandonne, vous imaginez-vous que la juſtice de Dieu n’attende pas ce mal-honnête homme dans un autre monde pour venger celui-ci… Ah ! ne croyez pas le contraire, Monſieur, ne le croyez-pas, ajoutai-je avec des larmes, c’eſt la ſeule conſola-