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INTRODUCTION

ceux qu’allument un instant en lui les articles de journaux ou des proclamations, parce qu’au théâtre ce sont par des exemples que la leçon lui est donnée, et il la retient.

« Le sujet de ma tragédie n’est point pris dans les événements du jour, trop près de nous ; le spectateur n’apporte jamais à ces événements cette espèce d’intérêt que lui inspirent ceux de l’histoire ancienne ; d’ailleurs il craint la surprise, il redoute le désir qu’on peut avoir de le tromper, et la scène est déserte à la seconde représentation, nous l’avons vu. Mon texte est choisi dans l’histoire de France ; c’est le moyen d’intéresser plus vivement des Français. Il est pris dans le règne de Louis XI, à l’époque où Charles, duc de Bourgogne, voulut assiéger la ville de Beauvais, que Jeanne Laisné, à la tête de toutes les femmes de la ville, défendit avec tant de courage et ravit aux desseins de l’oppresseur ; le seul amour de la patrie inspira ces braves citoyennes et, pendant mes cinq actes, je ne leur prête que ce seul sentiment. Étaient-elles susceptibles d’un autre sous un tyran tel que Louis XI ? J’ai soin de le dire, de le prouver, et mon ouvrage devient par là l’école du patriotisme le plus pur et le plus désintéressé. Le républicain, le royaliste, tous n’y verront que cela, tous diront : le patriotisme a toujours été la première vertu des Français, ne démentons point le caractère national. On a aussi aimé la patrie sous les tyrans, aimons-la donc quand nous en craignons, dira le républicain ; aimons-la même en les désirant, dira le royaliste, mais apprenons là quel est le danger qu’ils nous préparent. Ainsi ma pièce est essentielle… elle est bonne… elle est utile sous tous les rapports à tous les individus, et, comme je viens de le dire, elle a, de plus que les ouvrages de situation, le grand intérêt de l’antique et la certitude que ce n’est pas un de ces véhicules payés dont le républicain sourit et que le royaliste bafoue.

« Tel est, citoyen représentant, l’ouvrage que je désire vous soumettre. Si la lecture, que je vous demande la permission de vous en faire, vous plaît, si vous trouvez que mes intentions soient bonnes, je crois qu’il serait essentiel alors d’en hâter la représentation, c’est l’instant… absolument l’instant, et vous voudrez bien, en ce cas, faire ordonner par qui de droit, au Théâtre-Français, de l’apprendre et de la jouer tout de suite ; cet ordre est indispensable pour prévenir les longueurs des comédiens qui, si l’ouvrage ne leur plaît pas, ou le refusent, ou désespèrent l’auteur par leurs insoutenables délais.