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LA MARQUISE DE GANGE

cour. Au moment qu’elle prenoit son élan pour sauter, le vicaire entroit : il la voulut retenir ; mais le morceau du jupon qu’il avoit saisi, lui resta à la main. Elle tomba de 22 pieds de haut sans se faire mal. Le vicaire, à qui sa proie échappoit, jetta après elle une cruche remplie d’eau, qui lui auroit cassé la tête, si elle n’en étoit pas tombée à deux doigts près. Dès qu’elle se vit à terre, elle réussit à se faire vomir avec le bout de sa tresse qu’elle s’enfonça dans le gosier : courant ensuite pour sortir, et trouvant tout fermé, elle eut recours à un palefrenier qui la fit sortir par une écurie, et la remit à quelques femmes qu’il rencontra dans le chemin.

Le chevalier et l’abbé, avertis par le vicaire, coururent après elle, criant qu’elle étoit folle : enfin le chevalier l’atteignit près de la maison du sieur de Prats, la poussa dedans, et y entra avec elle. L’abbé se mit sur le seuil de la porte, dont il défendit l’entrée avec menaces.

Le sieur de Prats n’y étoit point : mais sa femme y étoit en compagnie de plusieurs dames et demoiselles. L’une lui donna de l’orviétan, dont elle avala quelques prises en cachette ; une autre lui présenta un verre d’eau : mais le chevalier lui cassa le verre entre les dents, l’accusant toujours de vapeurs, et disant aux dames qu’il restoit pour prendre soin d’elle, et qu’il ne la quitteroit pas qu’elle ne fût en meilleur état.

La marquise concevant encore l’espérance d’attendrir le chevalier, les dames, sur sa prière, passèrent dans la chambre voisine. Elle se jetta alors à ses genoux, et le supplia, par les termes les plus touchans, de quitter la