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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/109

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LA MARQUISE DE GANGE

Rien ne brise le cœur comme de se retrouver seul dans les lieux jadis témoins de notre félicité : tout en retrace l’objet, tout le peint à nos yeux ; il semble qu’il anime encore tout ce qu’il embellissait autrefois ; les échos nous répètent le son de cet organe qui nous enchantait ; nous volons où nous croyons l’entendre, et nous n’y trouvons plus que l’image déchirée par le désespoir.

Un jour qu’Alphonse pleurait dans sa chapelle, aux pieds du portrait de sa chère épouse, placé, comme nous l’avons dit, au-dessus du Christ dont il l’avait faite la mère, plongé dans cette sorte d’égarement qui réalise toutes nos chimères, il crut que les yeux de cette vierge céleste se remplissaient de larmes, en le fixant avec ardeur, et que ses lèvres de rose, pâlissant tout à coup, s’entr’ouvraient pour prononcer ces mots coupés Mort… malheur… tombeau.

Son agitation redouble… — Oh ! mon ami, dit-il à son frère, elle pleure, ses larmes ont coulé sur mes mains ; elles sont retombées sur mon cœur… Elle parle, et mon sort est écrit dans les mots qui lui sont échappés. Il faut que je la retrouve ou que j’expire.

Qu’on nous permette de le laisser dans cette cruelle situation, pour nous occuper un instant de la personne qui en est l’objet.

Tout était sagement, ou plutôt méchamment combiné dans les plans de l’abbé. Il savait bien