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LA MARQUISE DE GANGE

abhorrant la mère ? — Cela est rare. — Mais cela est. — Soit ; mais le chagrin que celle que j’aime éprouvera de celui que j’aurai donné à celle que je n’aime pas, en sera-t-il moins réel, et n’aurai-je pas toujours à en redouter les effets ? — Et le tort que cette vieille femme peut nous faire, ne te causera-t-il pas un chagrin plus violent que celui que ta femme pourra ressentir de la perte de sa mère ? — Comment ? de la perte ! qu’imagines-tu donc ?

— Cela est vrai, j’en ai trop dit : avec une âme aussi timorée que la tienne, il faut se taire, ou dissimuler ; je conviens d’ailleurs que mes mots étaient plus forts que mes idées. Je ne prétends pas du tout attenter aux jours de la mère de ta femme ; à Dieu ne plaise qu’une telle pensée se soit jamais présentée à mon esprit ! mais on peut un moment l’écarter du monde, la mettre à couvert, et agir, ou la faire agir, pendant ce temps-là ; prendre, en un mot, les précautions qui nous paraîtront les meilleures pour ôter à cette femme les moyens de nous nuire, ou d’engager ta femme à le faire.

— Mon ami, dit Alphonse, tu connais ma confiance en toi ; fais tout ce que tu voudras, mais n’en parle point à ma femme ; qu’elle ne ressente aucune peine des procédés que tu mettras en œuvre : c’est tout ce que je te demande. — Bon, laisse-moi conduire l’aventure,