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LA MARQUISE DE GANGE

ment dépravé, ne s’attendrit pas à l’effusion de ces larmes précieuses, et l’état de douleur et d’abandon de celle qui les répandait ne servit que d’aliment à la coupable passion de l’un de ses plus cruels ennemis. Le chevalier déguisa son émotion par celle que sa sœur faisait passer dans son âme. Il l’embrasse, il la console ; et, plus encouragée par ces simulacres d’une amitié qu’elle croit si pure, Euphrasie lui parle de l’abbé : — Il paraît irrité contre moi, dit-elle au chevalier ; il remet sur le tapis d’anciennes calomnies, et paraît persuadé plus que jamais que je suis coupable. Ah ! quel supplice pour l’innocence d’être traitée de cette manière ! — Je crois, dit de Gange, avec l’air de la plus grande franchise, que Théodore est amoureux de vous. — Oh ! non, non, dit la marquise, en repoussant une idée qu’il était prudent d’anéantir, n’imaginez pas cela, mon frère ; l’abbé, plus sévère que vous, voit des crimes partout, et personne néanmoins ne devrait être plus persuadé que lui que je n’ai jamais commis ceux qu’il me prête. — Supposez-lui de l’avarice au moins, dit le chevalier, et croyez que l’intérêt est un dieu bien servi par lui : telle est la véritable cause de son aigreur ; elle ne prend sa source que dans l’histoire du testament. L’abbé réduit à la pension comme moi, est cependant beaucoup plus affligé que moi de ne point voir entre les mains du marquis la manutention d’un